Sandie Bélair septembre - 28 - 2017
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Comme promis, voici venue la reprise des interviews des praticiens en médiation animale. Aujourd’hui, nous accueillons Marion Delacour, son parcours est riche et elle nous livre ici un peu son expérience…

Bonjour Marion, qui es-tu, que fais-tu?

Je suis orthophoniste et je travaille en libéral auprès de patients atteints par des troubles de la voix, de la parole ou du langage et ce à tous les âges de la vie.

Les pathologies rencontrées dans ma profession sont donc multiples et comprennent:

  • Les troubles du langage oral tels que le bégaiement, les troubles de la déglutition et les troubles articulatoires.
  • Les troubles du langage écrit tels que la dyslexie, la dysorthographie, la dyscalculie…)
  • Les troubles de la voix (nodules, paralysies vocales, laryngectomie…)
  • Les troubles d’origine neurologique (aphasie, maladies dégénératives…)
  • Et enfin les troubles sensoriels avec les handicaps lourds (maladies génétiques,TED, IMC) ainsi que les surdités.

Les objectifs de l’orthophoniste seront d’une part de redonner confiance au patient dans ses capacités de communication, de stimuler les fonctions déficientes, de contrôler et d’éliminer le trouble et dans les cas les plus sévères de proposer une communication alternative.

C’est un métier alliant technique et créativité dans lequel la communication verbale et non verbale est au cœur de la pratique. Le praticien peut dans le cadre de sa prise en charge, mobiliser en plus des méthodes orthophoniques, différents canaux tels que le théâtre, le chant, le dessin, la médiation animale afin de répondre aux objectifs thérapeutiques fixés initialement avec le patient.

 

Marion, Candy et Marcus

 

– Tu es donc praticienne en médiation animale depuis quelques années, comment tout a commencé?

C’est lors d’un reportage sur la zoothérapie au Canada que j’ai pris conscience de l’intérêt que pouvait revêtir l’animal auprès du thérapeute. Travailler avec un animal dans le cadre du soin, à fortiori avec le chien, devenait pour moi une évidence à l’entrée en études d’orthophonie. J’ai donc décidé de monter un projet et de réaliser mon mémoire universitaire sur ce sujet, encore confidentiel à l’époque, avec le soutien d’Handi’chiens. C’est ainsi qu’Aiko, chien d’accompagnement social m’a été remis. Mon mémoire intitulé  » le chien libérateur d’émotions dans la maladie d’Alzheimer » a obtenu les félicitations du jury. Aiko m’a également accompagnée lors de mes différents stages universitaires auprès d’un public varié me préparant ainsi à mon futur exercice et à l’utilisation du chien dans mon activité orthophonique.

 

– Quelle est la « plus-value » de la présence animale dans tes missions d’orthophoniste?

Il y a une dimension purement proxémique. En effet, l’animal induit une relation triangulaire, vécue comme moins intrusive par le patient et modifie ainsi les échanges entre le thérapeute et son patient. L’animal apporte ensuite des situations de langage, un contact spontané avec l’Autre, une chaleur et donc un affectif, au combien essentiel à la réussite d’une prise en charge mais que la distance thérapeutique nous interdit souvent. En cela il vient compléter le thérapeute. Enfin, mon partenaire canin m’apporte de précieux renseignements sur la façon dont la personne ou l’enfant interagit avec son environnement. Il me permet un recul et une observation qui viennent compléter davantage mon bilan.

Lors des séances, Aiko m’accompagnait de façon passive, sa présence apaisait, réconfortait et libérait de ce fait la parole chez les patients en souffrance. Par ailleurs, son éducation spécifique et la maîtrise d’une cinquantaine de commandes me permettait également de l’inclure comme un auxiliaire à part entière dans mes rééducations orthophoniques, jouant parfois le rôle d’une tierce personne, stimulant le patient et apportant ce côté ludique indispensable à la rééducation.

Nous avons ainsi développé un panel d’activités (verbales, sensorielles, mnésiques) où Aiko jouait un rôle clef en libéral mais aussi en structure.

La présence d’Aiko me permettait enfin d’entrer plus facilement en contact avec les patients, notamment les enfants pour qui il était un facteur de motivation évident.

 

Aiko

 

– Peux-tu nous parler d’une prise en charge qui t’a particulièrement marquée? D’un lien homme-animal particulier?

La présence d’Aiko apportait régulièrement son lot de petits miracles…Un enfant mutique qui se mettait soudain à parler, une personne en grande souffrance, recroquevillé et qui s’ouvrait à son contact, là, où, nous, thérapeutes n’avions pas de prise… Des sourires, de la joie…

Le souvenir d’une patiente en phase terminale de la maladie d’Alzheimer, qui ne parlait plus,  alitée et qui au contact d’Aiko s’illuminait littéralement et acceptait de sortir de sa chambre en fauteuil pour être à ses côtés. Elle s’est mise à lui parler,  un langage dont seul subsistaient les accents prosodiques, incompréhensibles pour nous mais un partage émotionnel pourtant universel, des mouvements de jambes pour le suivre dans les couloirs… Et surtout, de la joie, du plaisir jusqu’au bout.

 

– Tu as perdu ton premier chien il y a quelques mois après de nombreuses années à vivre et à travailler avec lui. Comment as-tu géré cela émotionnellement et du point de vue de ton activité?

La perte de mon collègue de travail et partenaire de vie, c’est ainsi que je le considérais, a été très difficile émotionnellement. Je n’y étais pas préparée, même si l’annonce de la maladie donnait une relative échéance. J’ai préparé mes patients à sa disparition et notamment les enfants. Nous avons beaucoup communiqué sur cette étape qui fait partie de la vie également, nous avons pleuré, ri, savouré l’instant avec lui. Sa mort a suscité de vives réactions au cabinet, des dessins, des mots, des bouquets m’ont montré à quel point il était aimé et à quel point il avait su apporter et transmettre tout cet amour autour de lui. Amour guérisseur et tellement salvateur.

La période qui a suivi sa disparition a été très difficile pour moi. Le bureau vide, la tristesse des patients, petits et grands, pour qui il était un doux repère et qui souvent me parlaient de lui, de ses souvenirs que nous avions tissés. Aiko et moi avions une relation alchimique, il savait d’instinct se positionner sans rien dire, la conduite à adopter. Accepter un nouveau collègue de travail était aussi accepter une autre relation.

Un chemin long et terriblement formateur m’a finalement fait connaître la joie d’une nouvelle équipe avec deux autres chiens qui complètent à nouveau à merveille ma pratique. Même si comme dans toutes nos rencontres, chacune est unique. Et Aiko le restera.

 

– Je pense qu’il y a plusieurs phases de deuil dans le travail avec son animal, tout d’abord l’arrêt progressif des séances ( autour de 9-10 ans), puis la fin de tout travail en médiation animale, et pour terminer la perte définitive, le manque, l’absence. Quels conseils donnerais-tu aux praticiens pour penser également à cela, pour anticiper? C’est un sujet dont nous parlons peu, car probablement tabou et de l’ordre de l’intime, mais il me semble tellement crucial dans l’accompagnement des référents des chiens. Comment investir une autre relation ? Prendre le temps ? Difficile de passer d’un chien à un autre?

La perte d’un animal peut être annoncée ou brutale mais peut-on véritablement s’y préparer au fond? Chaque deuil est unique et il n’y a pas de clés pour les surmonter si ce n’est de laisser du temps. Avoir une équipe canine aide sans doute à prendre la relève lorsqu’un compagnon vient à disparaître. Préparer quand on le peut ses patients à la séparation prochaine permet de dire au revoir, c’est un très beau moment de partage et d’amour.

 

Aiko

 

– Et maintenant quels animaux t’accompagnent?

Aujourd’hui, mon équipe de médiateurs canins compte Candy, spitz nain et Marcus, golden retriever. Les apports de chacun sont différents. Candy apaise et sa petite taille induit un comportement plus maternant de la part des patients. L’attrait de sa fourrure est très utile sur le plan sensoriel et lors des activités de type toilettage chez les résidents. Tandis que Marcus apporte le côté stimulant lors des activités de jeux. Sa taille plus imposante peut également être un avantage auprès de certains publics.

 

– Quelle éducation ont suivi tes chiens pour être aptes à cette mission de médiation animale?

Les objectifs de l’association Handi’chiens ayant encore évolué, il n’est désormais plus possible de choisir son chien parmi plusieurs.

Aiko et moi avions eu cette chance d’avoir cette magie de la rencontre, de nous trouver.

Forte de l’expérience Handi’chiens et des demandes inhérentes à la Médiation Animale en orthophonie, j’ai souhaité éduquer moi-même mon chien. Marcus, mâle également de race golden retriever, provient d’un élevage aux lignées renommées et a rejoint le cabinet et la maison de retraite à l’âge de trois mois. Ces deux lieux ont été extrêmement formateurs pour lui et propices à sa socialisation, à l’approche des patients petits et grands, porteurs de divers handicap. Son éducation s’est réalisé en lien avec une vétérinaire comportementaliste et une éducatrice à l’approche éthologique Christine Kloetzlen dont je salue ici le professionnalisme. A ce jour, à un an et demi, Marcus maîtrise tous ces ordres de base (assis-coucher, patte, attends, marche en laisse et sans laisse, aboie sur demande, apporte, monte). Un travail avec du matériel spécifique (cerceaux, plots, etc) a été entrepris dès son plus jeune âge de façon à pouvoir l’inclure dans des activités avec un tiers et à manifester une grande confiance dans les différents outils proposés. Un chien intervenant en médiation animale doit avoir reçu une éducation spécifique, ce n’est pas un banal chien de compagnie car n’importe quel chien ne peut remplir cette mission. Il doit être sûr en toute circonstance et fonctionner en symbiose avec son maître. Cette alliance est indispensable pour remplir les objectifs thérapeutiques.

Ma deuxième petite chienne, de race Spitz nain (2kg) est une réformée de l’élevage, elle est âgée de 5 ans et a eu l’habitude d’être manipulée et de fréquenter les expositions canines. Ayant un attrait et une empathie développés pour l’humain, elle fait merveille auprès des résidents qui peuvent la prendre dans les bras, sur les genoux. Son poids plume peut être un atout pour les gens fragiles. Candy adore être touchée, cajolée, toilettée, c’est pour elle un réel plaisir.

 

– Marcus est un golden retriever mâle blanc comme Aiko. Pourquoi cette similitude? Est-ce qu’il n’y avait pas un risque à travers le lien avec ce nouveau chien que la différenciation entre les deux animaux ne se fasse pas? Que Marcus soit investi comme un « Aiko bis »? Et que la déception de ne pas retrouver le chien idéal et idéalisé Aiko entraîne un rejet?

Après avoir longuement hésité sur le choix de la race, j’ai décidé de rester fidèle à mes premières amours pour le golden. Pas de crainte d’association car il allait forcément être différent. Par ailleurs, Aiko avait un côté hors norme de par sa taille, il était très grand, ce qui le rendait vraiment unique et facilement identifiable pour les patients. J’aime la sensibilité du golden, sa couleur claire et son air débonnaire qui le rendent d’emblée sympathique. C’est un chien associé au chien d’assistance dans l’imagerie populaire. En terme de gabarit, Marcus ne ressemble aucunement à Aiko, puisqu’il est de petite taille, avec un caractère radicalement différent. Aiko était dans le contact corporel, là où Marcus est dans le contact visuel. Cela a été une adaptation pour mes patients également car certains avaient leurs habitudes avec Aiko. Chaque amour est différent et chaque chien est unique, comme toute relation humaine, cela est vrai également pour nos amis à quatre patte. Le plus difficile est de ne pas être dans la comparaison mais dans l’appréciation des qualités de chacun de nos compagnons. Une équipe canine est en cela très utile aussi.

 

– Et le bien-être animal,  comment fais-tu pour l’évaluer? Comment organises-tu ton activité pour qu’ils restent bien dans leur tête et dans leurs pattes? Et que proposes-tu à tes chiens pour les détendre après une journée de travail ou même pendant la journée de travail?

Il est indispensable de savoir repérer sur son chien les différents signes d’inconfort (signaux d’apaisement que le chien nous envoie), d’évaluer sa charge émotionnelle, de lui donner une possibilité de se retirer quand il le souhaite. Les chiens ont un planning au cabinet. Marcus les matins et Candy les après-midis, à adapter en fonction de leur état, des sollicitations actives qu’ils ont pu recevoir.

 

Candy en séance

 

Le chien est utilisé de façon passive de par sa présence mais aussi parfois de façon active. Dans ce dernier cas, le chien est inclus dans certaines activités orthophoniques ou vient remplacer une tierce personne, très utile par exemple dans l’apprentissage du tour de rôle. Lorsqu’ils ne sont pas dans le cabinet et comme j’ai la chance de travailler chez moi, ils bénéficient d’un grand parc où ils peuvent se défouler. Marcus a également la chance d’avoir une compagne Estrela dans la meute pour jouer en dehors du « travail ». Ils ont donc leur vie de chien et apportent de par leur éducation une part de spontanéité très riche en séance. Les balades sont également importantes, tout comme le jeu, aussi bien pour eux que pour le thérapeute et renforcent la complicité.

 

– Tu as travaillé avec un chien préalablement éduqué pour la pratique en médiation animale. Maintenant tu travailles avec une petite chienne que tu as adoptée et avec un chien que tu as éduqué dès ses premiers mois. Tu as connu trois cas de figures. Quelles sont les intérêts et les limites que tu mettrais en avant pour les trois?

L’intérêt d’un chien Handi’chiens réside dans le fait qu’il n’y a pas d’éducation à effectuer, c’est un chien qui répond immédiatement aux demandes et il est posé car il a déjà 2 ans

Cela demande un investissement de départ moins important en terme de temps d’éducation.

En limite, je soulignerais que parfois, il y a un manque d’initiative de la part du chien.

Éduquer son chien soi-même est une expérience très formatrice pour appréhender l’animal, l’éducation et il y a aussi le plaisir d’avoir un chiot qui grandit sous l’œil des patients. Cela nécessite beaucoup de temps pour les apprentissages à inculquer et une sélection du chien correspondant à son projet professionnel.

L’intérêt de l’adoption d’un chien réformé d’élevage réside dans le fait qu’il est plus âgé, plus calme, idéal pour les activités plus tranquilles. Il faut cependant bien se renseigner sur l’éducation et le milieu où l’animal a évolué.

 

– Quels sont tes projets?

J’espère partager et transmettre autour de ce domaine qui m’est cher et je travaille actuellement à la rédaction d’un livre relatant mon parcours en médiation animale dont Aiko fut un ambassadeur de choix.

 

– Avec quel animal de roman, de BD, de mythologie… aurais tu aimé travailler ?

L’histoire d’Hachiko, plus connu sous le prénom d’Hatchi, célèbre Akita Inu, symbole de fidélité ayant inspiré écrivains et réalisateurs et originaire du Japon, me touche particulièrement. Ce chien a pendant 10 ans attendu quotidiennement son maître à la gare, à la mort de ce dernier. Une statue est érigée en son honneur à la gare de Shibuya. Il représente pour moi la fidélité et le dévouement légendaire du chien envers l’homme.

 

– Le mot de la fin est pour toi…

« Le chien rit avec sa queue » disait Paul Neuhuys et à en croire tous les sourires qu’il suscite sur son passage, on ne peut que le croire.

Merci Marion! Bonne continuation!

Sandie Bélair

+++ Sur le même thème:

D’autres interviews:

Interview d’Elsa Thevenon, ergothérapeute et praticienne en médiation animale

Interview de Blandine Sauzay Pierens, psychomotricienne et praticienne en médiation animale

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