Sandie Bélair novembre - 23 - 2015
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Depuis les attentats de Paris et de Saint-Denis, nous sommes restés silencieux sur le blog !

Nous sommes bien sûr touchés, affectés par les événements et nous pensons aux victimes et à leurs proches. Nous nous associons à leur peine et à leur douleur.
Quelle tristesse pour notre pays mais également pour l’humanité entière qui vit actuellement des crises sociétales sans précédent dans un contexte géo-politique si difficile…

SANS VOIX, j’ai été et vous avez peut-être été les jours qui ont suivi ! Un trauma qui coupe la parole comme l’explique si bien Philippe Grimbert, psychanalyste, dans le Journal Le 1 de cette semaine (n°83 « Résister à la terreur »- 18 novembre 2015)! C’est le propre du trauma que de nous couper la parole, tant le poids du Réel vient faire obstacle à toute symbolisation. D’autant plus que ce qui a endeuillé le nuit du 13 novembre est entré pour nous en résonance avec une série de traumas antérieurs (celui de janvier, celui du 11 septembre 2001 à New-York).

SANS VOIX. Ce sont paradoxalement les mots qui nous viennent aux lèvres lorsque l’impossible se produit et que l’on ne peut verbaliser les choses.

Mais aujourd’hui, les mots sont de nouveau là et j’avais besoin de partager un peu les jours d’après… MES jours d’après… Pourquoi ? Parce qu’après de tels événements, il n’est pas toujours facile, même pour des soignants, de continuer à croire en ce que l’on fait et en la nature humaine ! Et parce que j’ai besoin d’écrire et de partager… comme je l’ai fait après les attentats de janvier.

Vendredi 13 novembre 2015, 22h30.

Je découvre l’horreur des événements sur mon fil d’actualité facebook. J’allume mon téléviseur et je suis prise par le flot d’images, de paroles et de sons… je reste quelques minutes sidérée ! Puis, je pense à ma sœur et sa famille, à mon amie Marie. Ils sont tous parisiens et ont pour habitude de sortir dans ces quartiers de la capitale !

Très vite, Marie me rassure, elle rentre chez elle. Tout va bien.

Mais pendant 1 heure, je n’ai pas de nouvelle de ma sœur. J’imagine le pire forcément, je pense déjà à mes parents… et si… comment allons-nous surmonter cela ? Puis enfin, j’ai ma sœur au téléphone. Tout va bien aussi pour elle et sa famille… Merci…

 

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Je suis tellement soulagée mais aussi tellement triste pour toutes ces victimes… pour notre pays, pour notre monde ! Je suis habitée par des sentiments contradictoires, je suis sonnée…

Je pense à janvier… et aux autres victimes… et notamment à Cabu… que je ne peux évoquer encore sans avoir une émotion dans la voix et les yeux brillants ! Pourquoi Cabu ? Car c’est une figure de mon enfance… et qu’il est associé à ce temps si léger et naïf qu’est l’enfance (quand les conditions de vie sont réunies bien sûr) ! Je pense à cette marche du 11 janvier, aux gens que j’aime (ceux qui sont partis et ceux qui sont là, ceux que j’aime mais avec qui les relations sont difficiles), je pense, je pense, je pense encore… mais pas de mot !

Mes yeux sont rivés sur l’écran, je veux voir l’assaut jusqu’au bout, je veux savoir que tout est fini… Et je me dis que ma nuit va être courte… ou longue !

Samedi 14 novembre 2015

Le lendemain, le petit-déjeuner est amer ! Le nombre de morts, de blessés… l’horreur est partout !

Pour m’extirper de tout ça, je tente de « réenchanter » MON monde quelques heures et je décide d’aller courir, avec mon Super Toutou dans une forêt magnifique qui invite à la contemplation et que je nomme forêt de Merlin ! Super Toutou (Héros), Merlin (l’enchanteur)… bref, vous l’avez compris j’en appelle à des figures de l’imaginaire et de l’inconscient collectif que je n’ai pas besoin de vous décrire ici !

 

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© Photo Résilienfance

Courir, s’extraire de l’horreur (fuir?!), se sentir libre, vivante et surtout se recentrer !

Au retour, je suis plutôt atone, je suis seule le reste de la journée, je continue d’entendre les mots, les sons, et de voir les images mais cela n’a plus le même impact sur moi ! Je veux garder cet état, ce centrage pour le lendemain car je travaille auprès des familles et je veux être disponible pour elles ! Nous hésitons à annuler la journée d’accompagnement à la parentalité mais je me dis que ces familles ont besoin de cette rencontre et de poursuivre le travail entrepris d’autant plus qu’elles auront aussi peut-être besoin de parler des événements ! Alors nous maintenons…

Dimanche 15 novembre 2015

C’est une nouvelle journée d’accompagnement à la parentalité, la troisième de la saison !

Pour la professionnelle que je suis, paradoxalement, c’est une vraie bouffée d’oxygène : se centrer sur l’autre, l’accompagner, accueillir sa souffrance, son mal-être, l’écouter, le soutenir… Je suis là où je dois être, auprès de personnes fragilisées par la vie et le sens de mon engagement se trouve renforcer !

Nous parlons des attentats mais pas seulement… Le temps est brumeux, froid, triste et nos pensées sont aussi à Paris mais nous pouvons nous dégager de cela pour poursuivre le travail entrepris ! La journée n’est pas simple, chaque famille a une histoire de vie plus ou moins difficile mais plus que jamais je garde en mémoire tous les sourires de ce jour !

 

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© Photo Résilienfance

 

En rentrant avec ma collègue, nous admirons, au coucher de soleil, un magnifique ciel bordelais au milieu duquel trône « le Génie de la liberté » du Monument des Girondins, place des Quinconces ! Cette liberté attaquée ! Je m’émerveille et je me sens sereine malgré tout !

 

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© Photo Résilienfance

Jeudi 19 novembre 2015

Les jours qui suivent ce dimanche, je poursuis mon travail, mes ateliers… et je constate que lors de mes déplacements dans les établissements je reçois des petites attentions, des petits mots, des sourires que je n’ai pas forcément d’habitude ! Comme si les gens ont besoin de se dire qu’ils comptent l’un pour l’autre, de vous dire qu’ils reconnaissent l’intérêt de votre travail, de votre présence. Ainsi, j’entends ces mots d’une professionnelle : « Votre venue, chaque semaine, a des effets collatéraux positifs et inattendus! Lorsque vous traversez la cour de l’établissement, vos sourires, vos petits mots et cette possibilité que vous laissez, aux enfants non bénéficiaires de vos ateliers, de caresser l’adorable Dubaï a des répercussions indéniables sur notre quotidien! Et c’est précieux… » Merci…

Ce jeudi, donc, je vois comme chaque semaine trois jeunes ! J’accueille un flot de paroles, d’angoisses et de questions: »Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Ils sont fous non? Dis-moi… toi, tu sais… ( !?) Ça fait mal une balle de kalachnikov? C’est quoi la radicalisation? Moi je suis musulman mais pas terroriste, je ne comprends pas… je peux devenir comme eux tu crois? Dis c’est pire que Charlie Hebdo? Je crois que j’ai peur et toi? Je veux rentrer au RAID avec Dubaï… »

Je fais avec ce que j’ai appris, avec mon expérience mais avec (aussi) ce je suis pour accompagner… sans être une spécialiste du terrorisme, des conflits géo-politiques, des armes de guerre… mais je fais… avec ma connaissance de la souffrance humaine et mes armes de psy ! L’accueil, l’écoute, le non-jugement, la bienveillance, la reformulation, la mise en mots… désintoxiquer les pensées avec cette fameuse fonction alpha, cette capacité de rêverie, cet appareil à penser les pensées (Bion)!

Et au milieu, il y a ce cher partenaire de travail, Dubaï, chien d’accompagnement social Handi’Chiens… Nous sommes assis sur le sol (comme souvent). Dubaï est resté près de nous… percevant et recevant les besoins de contact des jeunes… qui dans un mouvement régressif et rassurant enfouissent leur nez dans les poils de l’animal, laissent leurs mains aller et venir sur son dos, sa tête… et s’abandonnent.

 

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© Photo Résilienfance

 

La matinée était difficile… mais ils ont pu s’approprier cet espace… et ils ont pu le quitter plus apaisés et confiants !

Depuis le début de cette longue semaine, je me suis sentie impuissante pour les victimes… j’aurais voulu être auprès de mes confrères pour écouter et aider à la mise en mots et finalement je le fais ce jeudi… autrement… avec ces jeunes. Ils en avaient besoin et… j’en avais besoin aussi…

Ce que je veux vous dire c’est qu’il ne faut rien lâcher surtout et continuer à croire en ce que l’on fait, au sens de notre engagement ! Parfois, cela peut nous paraître dérisoire face à la souffrance du monde, les effets semblent non visibles mais soyez persuadés que vous êtes à votre place et que cet Autre fragilisé par la vie a besoin de vous !

Continuez !

A Chacun Ses Armes !

Vous voulez aussi partager vos jours d’après? Osez… venez commenter!

Sandie Bélair

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Nous sommes Charlie… nous aussi!

7 Responses to “Les (mes) jours d’après les attentats de Paris : « Sandie, je veux entrer au RAID avec Dubaï… »”

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    Natacha
    novembre 23rd, 2015 at 20:11

    Merci Sandie… Ce billet me rempli d’émotions et fait écho en moi… Merci d’avoir mis des mots sur ce que peut ressentir aussi le psychologue dans cet « après » auprès des familles.
    Je t’embrasse.

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    Marie
    novembre 23rd, 2015 at 20:29

    Un enorme Merci d’avoir oser… magnifique texte Sandie!!!! Fais toi confiance, et malgré ces tragédies…Ne lache rien, ton engagement est ta force aupres de tous ces jeunes…

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    Labrot Annick
    novembre 23rd, 2015 at 21:30

    Ces mots résonnent dans la simplicité du quotidien d’une praticienne de la relation d’aide! Ébranlée, sidérée, perdue dans la recherche effrénée des causes d’une telle tragédie… Et toucher cet état si étrange et lointain de l’inconsolabilité … Soudain se sentir aux prises d’angoisses informes, primaires et chercher une prise à laquelle pouvoir se retenir… Ét poursuivre le travail auprès des plus fragiles. Comment ne seraient ils pas touchés par cette tristesse ambiante, cette violence sournoise ? Dessiner un loup, donner 3 cuillères de miel, jouer avec la violence, la peur… Donner à goûter la douceur …
    Merci Sandie, ne nous proposer cette mise en mots, pour tenter de se consoler de cette effroyable blessure.

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    Manée
    novembre 24th, 2015 at 8:55

    L’avant, le moment et l’après, ce rythme du temps qui devient tout à coup d’une vivacité incroyable, voir incontrôlable, est une dimension qui m’a touchée personnellement, il y a presque trois ans maintenant.
    Aussi, je suis touchée par ce que traversent et vont traverser toutes ces familles, tous ces amis qui viennent d’être comme soufflés par un véritable « tsunami de nature humaine ».
    Etre là, traverser ce tsunami sont les pas que devront poser toutes ces personnes, vivre avec cette grande et immense épreuve de la vie, nous ramène à nous même, à une présence à soi sans détour et sans futilité, au sens de notre « être-là », de notre existence, de ce que nous avons de plus précieux et de ce à quoi nous tenons …
    Nos armes face à ce tsunami, sont simplement d’être là, de faire et réaliser, comme cette échappée belle en forêt de « Merlin » que tu as explorée Sandie avec ton super « Héros » dans des sensations du premier moment. Poursuivre nos investissements et engagements, ne jamais tourner la page, mais continuer la lecture …. avec l’avant, le moment et l’après ….
    A Médi’âne, nous avons reçu des messages de nos contacts italiens, québécois, suisses, belges et nous sommes sensibles aux mots qui ont été exprimés vers notre pays. C’est avec un immense plaisir que nous avons accueilli à nouveau ce « sans frontière » de l’aventure Médi’âne.
    Une bonne et belle continuation à vous, avec l’avant, le moment et l’après …..
    Bien chaleureusement Manée

    avatar
    patrizia reinger c.
    novembre 24th, 2015 at 17:38

    …je n’aime pas les mots, en ce moment…pourtant j’aime les tiens…bien merci de réussir à arrêter l' »éloignement »…sorriso!
    patrizia degli asini, umana tra gli umani

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    Sandie Bélair
    novembre 25th, 2015 at 16:22

    Merci pour vos retours et vos partages!

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    m
    novembre 25th, 2015 at 19:05

    je peux maintenant lire ces réactions sur ses évènements si violents qui m’ont mis en colère , comment est ce possible ? pourquoi ? quel monde pour l’avenir. Sans doute par fragilité, j’ai évité le brassage médiatique et aujourd’hui je salue trés fort toutes les personnes qui trouvent des mots, des orientations qui nous rassurent et nous donnent le sens du désir et du plaisir à être malgrés l’actualité récente.

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