Sandie Bélair mars - 18 - 2011
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Au sein de ma pratique de psychologue en médiation animale, il me paraît indispensable de prendre en compte : les éléments culturels liés à l’animal et la rencontre entre nos représentations et celles des bénéficiaires. L’interculturalité est alors en jeu : un véritable métissage culturel…

Dans le domaine de la psychologie et de la sociologie, l’étude des relations interculturelles porte sur les contacts de culture. Lorsque des personnes de cultures différentes interagissent, elles vont mettre en commun pour communiquer, des éléments culturels qui leur sont propres tout comme certains qui leur sont communs, mais vont également faire appel à des apports culturels extérieurs à eux. Une sorte de « bricolage culturel » va se mettre en place leur permettant de dépasser les différences, sources d’obstacles à la communication, voire de les exploiter pour créer un nouvel espace culturel d’interaction, avec un nouveau code culturel. Il ne s’agit plus d’un pont entre les cultures, mais bien d’un mélange de différents rapports culturels.

Dans le cadre des activités de Résilienfance, nous menons des ateliers de médiation animale au sein de différents quartiers de la ville de Bordeaux et de sa communauté urbaine. Nous sommes amenés à travailler auprès d’enfants d’origines culturelles très différentes. Au cours de ma pratique, des réactions, réflexions, comportements d’enfants et/ou de parents ont éveillé ma curiosité sur les représentations culturelles de l’animal en fonction du pays d’origine. Celles-ci peuvent notamment intervenir directement sur les relations que nous entretenons et sur les processus qui sont alors en jeu… Comment accompagner, comment prendre en charge en omettant cette part culturelle ? Cela me paraît bien difficile… Alors quel « bricolage culturel » allons-nous pouvoir créer ?

Voilà un thème qui me passionne, je souhaitais donc vous le faire (un peu) partager… Un intérêt qui n’est certainement pas sans lien avec notre périple mongol… Aujourd’hui, je voulais vous parler plus précisément d’une « causerie » à laquelle nous avons participé il y a déjà quelques temps…

© Photo  Résilienfance – Fête du Naadam Mongolie – juillet 2009

Une p’tite causerie entre femmes

Suite à nos différents questionnements, nous avons décidé d’aller à la rencontre des différentes cultures présentes sur les quartiers en proposant un échange avec les familles et notamment les mères. Nous avons pris contact avec une association travaillant auprès des populations migrantes et proposant notamment des lieux de paroles et de « causerie » entre personnes de différentes générations, différentes nationalités et origines, pour un partage des savoir-faire et des pratiques. Nous souhaitions aborder avec elles les représentations de l’animal et sa place dans les différentes cultures. Cette rencontre fut passionnante et conviviale. Je vous dévoile ici quelques propos, anecdotes de cette causerie.

Après une courte présentation de Résilienfance et de la médiation animale, nous invitons les participantes à nous livrer leurs opinions sur notre pratique et donc sur la fonction de médiateur de l’animal entre des psychologues et leurs enfants.

Leurs premières remarques portent sur la peur de l’animal : elles nous questionnent sur le remède pour ne pas ou ne plus avoir peur des animaux. L’évocation de l’animal renvoie d’abord à l’autre qui fait peur. Plusieurs participantes font part de leur phobie des chiens ou des souris. Il est d’ailleurs intéressant de constater que pour elles, les rongeurs et les chiens font ici parties de la même catégorie.

Les animaux sont ensuite envisagés dans leur fonction utilitaire : « on trait la vache, le cheval tire les calèches, on mange le mouton, la poule pond des œufs ».

Une femme dit être montée une fois sur un âne, et explique que dans certains pays, l’âne est un moyen de transport. Elle évoque la différence entre les enfants ayant grandi en France et les grands-parents restés au pays : « pour les enfants, accrocher une charrette derrière l’âne est un jeu, alors que les aînés y voient un moyen de transport ».

Le chien « participe à la chasse ou alors il doit garder la maison, ou un terrain ». A ce titre, on se méfie car « si l’on est un étranger pour lui, il risque de mordre en voulant défendre son territoire ».

La place de l’animal

Pour les femmes présentes, la place des animaux est à l’extérieur de l’habitation. Si leur enfant fait amitié avec un animal, il faut que ce soit hors du foyer. Ce lien avec l’animal est une caractéristique de l’Occident, où beaucoup de choses sont surprenantes pour ces femmes, qui ne s’étonnent plus des pratiques tant l’écart avec ce qu’elles connaissent est important.

Tout semble donc se passer comme si l’intérieur du foyer, le dedans, gardait les caractéristiques et les règles de la culture d’origine, par opposition au dehors, où l’adaptation au pays d’accueil est forcément nécessaire. Les enfants vont à l’école et dans ce cadre ils sont amenés à faire des activités, de médiation animale notamment, qui seraient étranges dans le pays d’origine.

Les femmes poursuivent la comparaison avec l’alimentation des animaux : « en Turquie, les chiens mangent du pain sec, ou les restes des repas de ses maître ». Contrairement à la culture occidentale où il existe des quantités d’aliments (prêts à servir) pour les animaux qui sont dorlotés par leurs propriétaires.

Le chien et le chat

Les participantes avaient d’abord évoqué le chien en parlant de la peur qu’il leur inspirait. En fait, elles remarquent que les chiens d’ici n’ont pas peur des humains et viennent même jouer avec eux.

© Photo  Résilienfance

L’une d’entre elles rapporte une mauvaise expérience dans sa famille. Suite à une morsure par un chien, un jeune garçon avait eu très peur. Or, dans sa culture, il existe une croyance selon laquelle la peur peut provoquer pour les hommes (et uniquement pour eux) une stérilité. Il y a alors plusieurs remèdes : on tue un poulet et l’enfant doit manger la vésicule biliaire (la traduction littérale de l’expression turque pour dire que l’on a peur est : « ma vésicule a éclaté »). Une autre solution consisterait à faire couler de l’eau d’une « fontaine spéciale » sur une épée en récitant des versets coraniques ; l’enfant doit alors boire cette eau.

Une femme maghrébine nous explique que « le chien est représenté négativement dans la religion« . Le chien véhicule l’impureté. « S’il entre dans une maison, on ne peut plus prier dans cette maison car elle n’est alors plus propre ». « S’il touche une personne, elle doit faire ses ablutions avant de prier ». « S’il touche un plat, il faut laver quarante fois ce plat avant de pouvoir l’utiliser de nouveau ». En fait, il faudrait laver le plat sept fois, dont une fois avec de la terre. La source est un hadith rapporté par Abu-Hurayra. Le chien est autorisé en Islam s’il a un fonction utilitaire : chasse, élevage, garder les cultures (toujours selon le même hadith). Ensuite, beaucoup d’avis divergent en fonction de la lecture du Coran et il semble qu’il soit plus question de tradition que de religion.

Inversement, le chat est bien considéré : une chatte aurait mis bas sur un vêtement du Prophète et pour ne pas la déranger, ce dernier aurait découpé ce vêtement. Les chats n’annulent pas l’ablution et peuvent entrer dans les lieux de prière.

Pourtant, les femmes font une différence entre les deux animaux quant à leur caractère : le chien est fidèle et remercie Dieu pour chaque repas. Inversement, le chat est ingrat et fourbe.

Une femme rapporte une histoire : « le chat alla trouver le chien et lui dit : « tu as de la chance, toi, tu manges à heure régulière et le maître ne t’oublie jamais ». Le chien répondit : « mais que dis tu ? Tu vis dans la maison et tu peux manger à toute heure de la journée ». Le chat nia, ce qui signa son ingratitude.

Au Congo, si le chien doit rester dehors, le chat est en revanche perçu comme le diable. S’il entre dans une maison, et a fortiori s’il est noir, il annonce un mauvais présage. En Turquie, c’est le lièvre ou le renard coupant la route qui sont de mauvais signes et qui préparent un échec.

Le cheval et l’âne

Pour les femmes présentes, il n’existe pas de représentation négative pour le cheval. Il est une « brave bête ». Il est respecté, et on ne le mange pas. C’est un animal noble.

Nous nous sommes aperçus au cours de nos journées familles (Résilienfance est reconnue depuis juin 2006 dans le cadre du REAAP) que le médiateur cheval mobilise davantage les pères. Ces derniers, beaucoup plus présents au cours de cette activité, évoquent très régulièrement limportance du cheval dans leurs cultures et nous relatent régulièrement leurs souvenirs d’enfance liés à cet animal.

Certaines femmes rient à l’évocation même du nom : le mot « ai-chaic » (âne en Turc) signifie également imbécile. Comme en français, « tu es un âne » est une moquerie.

L’âne est aussi celui qui travaille trop, ou qui ne travaille pas bien. L’âne est têtu.

Une participante évoque une remarque faite à sa belle-mère qui lui reprochait sa paresse : « Tu me dis que je ne fais rien mais je travaille comme un âne ». Elle faisait les tâches difficiles. Pour ces femmes, le cheval est perçu dans leurs cultures comme plus noble que l’âne. Dire que l’on a une voiture à cheval est plus noble qu’une voiture tirée par un âne.


© Photo  Résilienfance – Journée famille

Un mélange de différents rapports culturels…

Les participantes étaient ravies de cet échange, de ce partage et de notre intérêt pour leurs cultures. Elles ont apprécié les comparaisons. L’évocation des animaux a aussi été l’occasion de parler de l’expérience de migration. De notre côté, ce fut d’une grande richesse pour nous aider à penser notre pratique différemment….

A la fin de la causerie, une femme nous fait part d’une anecdote que je vous livre pour clore ce billet. Elle raconte que son père lui avait offert une tortue ; tortue qui était devenue son animal de compagnie. Attachée à elle, elle n’imaginait pas quitter son pays sans amener sa « confidente ». Mais impossible, pour elle, de passer la douane avec sa tortue vivante. Pour contourner cette interdiction, elle décida de peindre la carapace de plusieurs couleurs afin que les douaniers pensent qu’il s’agissait d’un jouet. Et l’artifice fonctionna…

Sandie BELAIR

One Response to “L’interculturalité en médiation animale”

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    Marine G.
    mars 18th, 2011 at 23:23

    Merci Sandie pour cet excellent papier qui nous amène à réfléchir différemment notre rapport à l’animal.

    Pour ceux que cela intéresse de faire un détour par les scientifiques, cette question a été étudiée par un laboratoire de recherche suisse (IEMT) qui a publié un document de synthèse disponible gratuitement en français sur leur site.

    Vous pouvez vous rendre ici: http://www.iemt.ch/index.php/publications/publications/149-la-serie-de-livres-blancs.html et télécharger le livre n°5 sur « Différences culturelles dans l’attitude envers les animaux de compagnie ».

    Les autres documents peuvent aussi vous intéresser:
    Livre 1 : De l’importance du contact avec les animaux pour le développement émotionnel, social et cognitif de l’enfant
    Livre 2 : Vivre avec des animaux de compagnie – enrichissant mais inutilement compliqué
    Livre 3 : La thérapie par les animaux a le vent en poupe
    Livre 4 : Davantage d’humanité grâce aux animaux
    Livre 6 : La relation entre l’homme et l’animal et la santé de la population

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La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

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