Rédacteur invité février - 21 - 2014
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Après nous avoir entendus sur les ondes de RCF en janvier dernier et avoir découvert notre blog, Sophie Buyse, psychanalyste et auteure belge, nous a fait parvenir un article que je vous propose de découvrir ci-après! Sophie Buyse a fait cette communication lors d’une conférence à l’Université libre de Bruxelles, ce texte est notamment cité dans le livre L’animal à l’âme (p 195 – 201) de Sandrine Willems! Bonne lecture!

Qui est Sophie?

Une enfance peuplée d’animaux…

« Le premier thérapeute de la petite Sophie fut son cochon d’Inde, Roméo, une petite bête poilue, douce, chaude, qu’elle promenait sous son pull comme si elle portait un bébé dans son ventre. Roméo recevait les confidences de la fillette, elle lui racontait ses chagrins, ses peurs, ses soucis, il l’écoutait attentivement sans répondre, parfois il acquiesçait d’un petit couinement. Au terme de la consultation, l’enfant récompensait Roméo d’une feuille de salade ou d’une carotte qu’il dévorait aussitôt de ses incisives acérées. Roméo était un thérapeute très coopérant, il acceptait de porter des vêtements de poupée, d’être véhiculé dans un camion de plastique, de découvrir des lieux insolites sous les tapis, les couvertures, les cabanes de caisses en carton… Sophie observait Roméo avec fascination, elle connaissait ses réactions de plaisir lorsqu’il vibrait sous les caresses, ses colères lorsqu’il grinçait des dents, sa voix stridente quand il reconnaissait le bruit des sacs plastiques contenant les salades, ses courses éperdues dans la chambre et le cache-cache où il jouait à apparaître et disparaître à sa vue. Roméo était le doudou vivant de Sophie, elle dormait avec lui et son petit corps velu se blôtissait contre sa peau. Parfois, elle partait à l’école en l’oubliant dans le lit. La maman de Sophie, ne trouvant pas le cochon d’Inde dans sa cage, récupérait le thérapeute sous les draps encore chaud. Cette union procurait beaucoup de plaisir à l’animal et à l’enfant, il formait un couple très fusionnel et Roméo apparaissait dans les rêves de Sophie, sur les dessins et elle reproduisait son petit corps dans la pâte à modeler.

 

alphabet-animaux

 

Après quelque temps, elle accepta de partager son grand amour avec une petite Juliette noire et blanche, très amoureuse de Roméo. Ainsi, tout au long de son enfance, la petite Sophie développait son sens de l’observation avec ses compagnons qui croissaient, se multipliaient, lui apprenant le cycle de la reproduction, de la vie et de la mort. Elle vécu ses premiers décès en découvrant le cadavre tout raide et éprouvait intensément chaque étape de la perte, de l’enterrement au jardin au deuil de ses enfants, fidèles amis, témoins de secrets les plus intimes. Les animaux peuplaient son imaginaire et sa réalité : la petite souris lui apportait un cadeau quand elle perdait une dent, Cendrillon chantait avec les oiseaux et parlait aux souris, Mowgli et Tarzan communiquaient avec les animaux de la jungle. Les animaux ressentaient et comprenaient ce que les parents n’entendaient pas. Le grand méchant loup menaçait les enfants qui n’étaient pas sage, toujours prêt à croquer le chaperon rouge ou les trois petits cochons… Les animaux se répartissaient en bons et méchants, ours protecteur ou monstre dévorant.

En grandissant, de nouveaux thérapeutes vinrent peupler la vie de Sophie : chats de gouttière et chiens de compagnie occupèrent un rôle plus actif, plus participatif dans son existence. Ses observations s’étendirent ensuite à la faune et la flore, de la croissance des végétaux à l’observation de la métamorphose du têtard en grenouille. Cheminant peu à peu dans l’évolution des espèces, elle s’intéressa d’abord aux grands singes pour enfin se spécialiser en psychologie humaine… »

Préambule « bestial »

Les animaux furent mes premiers maîtres, de même que les éthologues et les Néo-Darwiniens posèrent les premiers jalons de l’observation directe qui influencèrent Esther Bick, alors jeune étudiante à Vienne aux côtés de Konrad Lorenz et Charlotte Buhler dont les théories sur l’observation du comportement animal ne manqua pas de l’inspirer pour la technique d’observation des nourrissons.

Qui se souvient de Jofi, de Topsy, de Lün, les chow-chow de Freud, et peut-être ses assistants pendant les séances de psychanalyse car ils ne quittaient jamais leur maître. Voici ce qu’il écrit à Marie Bonaparte le 6 décembre 1936 : « Telles sont réellement les raisons pour lesquelles on peut aimer un animal comme Topsy (ou Jofi), avec une profondeur aussi singulière, cette inclination sans ambivalence, cette simplification de la vie libérée du conflit avec la civilisation, conflit si difficile à supporter, cette beauté d’une existence parfaite en soi. Et pourtant, en dépit de toutes les différences du développement organique, ce sentiment de parenté intime, d’affinité incontestée. Souvent, en caressant Jofi, je me suis surpris à fredonner une mélodie que je connais bien, quoique je ne sois pas du tout musicien : l’aria de Don Juan, « Un lien d’amitié nous unit tous deux… » Quand le cancer de la mâchoire de Freud fut si avancé et que son chien refusa de l’approcher tant l’odeur était pestilentielle, Freud demanda l’euthanasie et mit fin à ses jours. Freud écrivait dans « Métapsychologie » 1925 : « Il existe chez l’être humain des formations psychiques héritées, quelque chose d’analogue à l’instinct des animaux, c’est là ce qui constitue le noyau de l’inconscient. »

Les animaux apparaissent très souvent dans les rêves des adultes en thérapie; ceux-ci représentent la plupart du temps des parties infantiles du patient et nous apportent un matériel très riche. Il n’est pas rare d’entendre des récits d’animaux en détresse, abandonnés, sans nourriture… Le déplacement sur un animal évoque ces vécus de bébés en souffrance parfois très archaïques car l’animal nous ramène avant l’apparition du langage, dans le monde pulsionnel et instinctuel de notre vie à quatre pattes. Les histoires de bêtes féroces qui attaquent, menacent, mordent révèlent, bien souvent, l’agressivité refoulée du patient et les associations libres montrent très vite un contenu latent de colère ou de rage contenue. Tant les passions animales que la phobie de ceux-ci nous donnent un matériel clinique essentiel.

L’animal réel et l’animal imaginaire interagissent dans l’inconscient et pourraient être qualifié d’animal tutélaire comme nous l’ont révélé les shamans depuis des millénaires. L’animal de pouvoir chamanique est le guide, le guérisseur, il incarne les forces et les vulnérabilités nécessaires pour évoluer.

Durant les observations du nourrisson, nous sommes frappés de constater un lien qualifié par la mère d’animal à son bébé, elle le renifle comme une petite bête, contrôle ses pipis et ses popos, inspecte son nez, l’intérieur de ses oreilles comme le ferait tout mammifère prenant soin de son petit. La mère n’hésite pas à dire qu’elle se transformerait en tigresse pour protéger son enfant d’un danger, l’appartement devient en quelque sorte une « tanière » autours du nouveau-né, imprégné par l’odeur forte du bébé et du lait maternel.

Boris Cyrulnik, le célèbre éthologue et psychanalyste, dans son livre : « Les nourritures affectives » ed. Odile Jacob, 2000, écrit à propos de l’observation: « L’observation naïve comme une évidence renseigne beaucoup plus sur la personnalité de l’observateur que sur la chose observée. Certains, ceux qui doutent jusqu’à l’obsession, accumulent les signes au point de tout brouiller. D’autres, moins angoissés, se contentent de percevoir deux ou trois indices à partir desquels ils généralisent poétiquement. Les pervers cherchent le détail qui permet de moucher leurs collègues et de les humilier en soulignant leur ignorance. Pour beaucoup, l’observation est une terreur. L’observable est haïssable car il chosifie l’autre au lieu de l’idéaliser… Ceux qui ont du plaisir à observer considèrent que ce qui fait signe, c’est toujours une différence. Une information stéréotypée ne fait qu’engourdir l’intelligence en renforçant ce qu’elle sait déjà. Pour innover, la pensée doit faire une association improbable, un coup de poésie qui surprend et éveille. La certitude est une antipensée, une litanie intellectuelle. La description du monde animal et sa comparaison au monde humain constituent un réservoir d’associations poétiques stimulantes pour la pensée. Il n’est jamais question d’extrapoler, encore moins de réduire l’homme à l’animal. C’est plutôt le contraire : la découverte du nouveau continent de l’animalité souligne par contraste la spécificité humaine. »

Psychothérapies d’enfants en présence d’Isis!

Après ce petit préambule « bestial », je voudrais vous présenter Isis, une levrette italienne âgée de deux ans et demi.

Cette grande prêtresse appartient à une des races de chiens les plus anciennes de l’Egypte antique : les lévriers ou sloughis. L’empire des pharaons vénérait ces chiens, les embaumaient et chaque ville possédait un cimetière entièrement consacré aux sépultures canines. Anubis, le Dieu psychopompe, à tête de chien assurait le transport des âmes vers l’au-delà et veillait sur les morts. Le passé mythologique d’Isis et ces ancêtres passeurs d’âmes la prédestinait à sa mission de cothérapeute à mes côtés.

 

Isis

 © Photo Buyse

Je pense, sincèrement, que le chien n’est pas un jouet dans le matériel thérapeutique, au même titre que les poupées, les personnages, la maison ou la ferme… Il interagit avec l’enfant et son travail s’apparente plutôt au jeu de rôle ou au psychodrame. Sa présence vivante n’empêche nullement les projections et l’enfant met assez vite en scène un histoire dans laquelle il intègre l’animal, précisant sa fonction, sa place. Il s’opère une triangulation pendant laquelle l’enfant met en scène son vécu en transposant sur l’animal ses pensées, ses angoisses, ses peurs. Le chien devient dépositaire des émotions, c’est un contenant d’un autre ordre que la « mère thérapeute ». Isis est petite, douce et légère comme un bébé de 6 kg, ce qui facilite les identifications projectives. L’enfant éprouve beaucoup de plaisir dans sa relation à l’animal et cette joie partagée avec Isis facilite l’accès aux zones les plus douloureuses de son histoire. Il m’a semblé que les souffrances émergent plus librement, plus rapidement durant la séance quand le chien permet un transfert « sauvage », moins arbitré par les adultes. Lorsque l’animal permet à l’enfant de rejouer des moments traumatiques de son existence, le thérapeute est le tiers qui met des mots sur ces interactions, ces échanges intimes. Le chien n’est pas un objet, il a son autonomie propre et ses réactions sont aussi très précieuses à décoder. Isis s’adapte à chaque sujet, elle perçoit, intuitivement, ce que l’enfant attend d’elle. Avec les garçons, elle propose des jeux très moteurs, elle est plus dynamique, comme si elle reproduisait le comportement intérieur de l’enfant qu’elle a face à elle.

Adrien…

Adrien, un petit garçon dont le papa était en prison, n’hésitait pas à menacer Isis avec des épées, des pistolets en la pourchassant. Il jouait à « gendarme et voleur » dans mon cabinet, accusant le chien d’être une voleuse et l’enfermant dans le couloir car elle avait fait des bêtises et qu’on devait la mettre en prison. L’agressivité de l’enfant était telle qu’Isis me regardait interloquée comme si elle me demandait : « il joue ou pas celui là, je fais quoi maintenant ? » Au terme de la consultation, où une grande décharge émotionnelle avait eu lieu, l’enfant était apaisé et se couchait en boule par terre dans le bureau. Isis venait alors tout de suite le consoler, le soulager en lui léchant le cou, les oreilles avec grande affection.

Ludo…

Ludo, 5 ans m’avait été adressé parce que sa maman était en stade terminal, tout son corps était semblable à celui d’une grande brûlée, presque aveugle et les doigts mutilés. Le petit enfant avait pratiquement toujours connu sa mère malade et il s’était enveloppé dans un embonpoint qui inquiétait le papa. C’était un petit garçon très doux, particulièrement intelligent, qui recherchait surtout la tendresse, la chaleur d’Isis. Il la prenait contre lui, la caressait délicatement et recherchait surtout une proximité physique. Dans sa maison, il y avait un gros molosse et l’enfant disait que ce qui lui manquait c’était de ne pas pouvoir le tenir dans les bras comme Isis parce qu’il est trop grand. Sa maman n’a jamais pu porter l’enfant et avec l’évolution de la maladie, il ne pouvait plus s’approcher d’elle car tout son corps était douloureux. Le toucher devenait une chose essentielle pour cet enfant. Quand il dessinait Isis ou qu’il la modelait dans la terre, l’animal lui ressemblait et prenait du poids, devenait une boule ronde ou des boudins écrasés comme si le chien était terrassé par un lourd chagrin difficile à porter.

Boris…

Je voudrais aussi raconter l’étonnante histoire de Boris, un enfant adopté de 8 ans dont le père adoptif est décédé dans un accident de voiture quand Boris avait 3 ans. Quand il est venu pour la première fois en consultation, Isis venait d’avoir 5 petits chiots. Ils avaient à peine deux semaines et le panier se trouvait dans mon bureau avec la maman et ses petits. J’avais également disposé la maison et ses personnages, le château-fort et d’autres jeux dans la pièce. Pendant que la maman me racontait l’histoire de Boris, la rencontre du bébé en Russie à l’orphelinat, le voyage jusqu’en Belgique pendant lequel l’enfant n’a pas cessé de pleurer et leur vie fusionnelle, à deux, après la mort du papa, l’enfant semblait hypnotisé par ces petits chiots avec leur mère, il les regardait téter et surveillait surtout que chaque chiot ait bien un mamelon de la maman. Il les déplaçait pour orchestrer l’allaitement de tous. Lors de la seconde séance, Boris a sorti un chiot du panier, l’a déposé dans une tour du château fort puis s’est adressé à Isis et lui a demandé : « Et maintenant, Isis, qu’est-ce que tu vas faire ? » Il voulait vérifier si Isis irait rechercher son petit ou le laisserait seul dans la tour. La chienne ne bougea pas du panier, l’enfant répétait sa question en vain, puis il s’empara du chiot et mima le vol d’un avion avec le bébé dans sa paume, pour aller atterrir sur l’accoudoir du fauteuil, laissant le chiot en déséquilibre sur une petite surface et donc en danger. Il interroge encore Isis : « Alors, tu ne vas pas rechercher ton bébé, allez qu’est-ce que tu attends ! » Isis regardait cette mise en scène sans se préoccuper de son petit et la maman de Boris s’inquiétaient pour le bébé chien : « il risque de tomber, il peut se faire mal. » Boris semblait se satisfaire de la réaction anxieuse de sa propre mère. En se servant de ce bébé chiot, Boris nous racontait différentes étapes de son histoire ; l’éloignement de sa mère, le placement, le vol en avion, la situation de déséquilibre et de danger. Plus tard, il déposa un chiot dans un camion et mimait un accident de voiture. Sa maman était particulièrement émue d’assister à ce récit de vie au travers des chiots.

Quand les chiots ont eu deux mois, juste avant les grandes vacances, Boris et sa maman ont adopté un petit qu’ils ont appelé Horus. J’ose supposé que cette adoption ait été très bénéfique car l’enfant n’a plus eu besoin de venir en thérapie chez moi après les vacances et j’ai reçu une superbe carte de vœux de Boris et Horus l’un contre l’autre

Et Lili…

Isis est particulièrement professionnelle avec Lili, 8 ans, dont la maman est atteinte d’un cancer très agressif pour lequel les traitements ne sont plus efficaces et qui a beaucoup de douleurs au ventre. Pendant plusieurs mois, Lili passait toute la séance à soigner Isis, lui préparer des pansements, l’opérer, fabriquer des médicaments en pâte à modeler. Isis se soumettait à tous les traitements, couchée sur le divan, couverte de bandelette, de peinture rouge pour figurer le mercurochrome ou le sang, on lui retirait des boules du ventre, parfois Isis était sauvée par le médecin, parfois on apprenait qu’elle allait mourir. A d’autres moments, Lili me demandait de la soigner, elle devenait la malade et moi le docteur. Je devais suivre à la lettre ses instructions.

Voici le déroulement de plusieurs séances successives avec Lili et Isis.

Lili arrive avec sa maman qui s’installe dans la salle d’attente et me dit que ses plaquettes baissent et que les médecins ont du interrompre le traitement. Je sens beaucoup d’inquiétude chez la maman. Lili entre dans mon cabinet, rassemble le matériel qui l’intéresse et s’empare de la trousse de médecin. Elle me présente la piqûre et dit qu’elle est dangereuse parce qu’elle peut transformer en chien. Puis elle prépare une « banane empoisonnée avec la pâte à modeler ainsi que des os pour le chien ».

Elle mime quelqu’un qui sort de l’hôpital , debout toute seule et qui tombe dans les pommes. « Je suis morte » annonce Lili couchée sur le sol. Elle se relève, prend des gants en plastique et prépare l’opération qui va la sauver : « il faut me mettre un cœur de chien » Elle sculpe deux cœurs dans la pâte, un petit et un plus grand et dit : « Je donne mon cœur à Isis, il a un trou dedans, il est de traviolle, il ne bat plus ». Elle se transforme en chien rose, une femelle comme Isis.

« Le chien parle, l’humain pas. Isis préfère garder mon cœur pour parler » dit elle.

Ensuite, elle s’enroule dans une nappe en papier qu’elle avait posé sur le sol et dit qu’on va emballer le chien pour faire un cadeau pour maman. C’est l’heure de la fin de la consultation, Lili arrive dans la salle d’attente toute emballée, la maman ouvre le paquet et s’exclame « quel beau cadeau ».

Cette séance montre combien l’enfant s’aide de l’identité du chien pour exprimer des choses très personnelles : la peur de la maladie et de la mort, le cœur du chien qui remplace celui de l’humain pour le sauver, quand Lili devient le chien et porte le cœur d’Isis, elle donne son cœur troué au chien, comme si elle venait puiser des forces dans le cœur du chien et de la séance. Ainsi, malgré le contexte très douloureux, elle a les ressources de s’offrir en cadeau emballé pour sa maman avant de repartir.

La séance suivante, le papa devait amener Lili mais il n’est pas venu car il n’avait pas d’argent. La maman est mécontente en expliquant cela. Lili est très agitée, sautille et rit nerveusement quand on évoque les difficultés du papa pour assurer la continuité des séances. Elle s’empare dans les jouets d’un œuf qui contient un dragon en plusieurs pièces détachées à l’intérieur. Lili m’explique qu’elle achète l’œuf sur un marché et le mange. « C’est très bon, je ne sais pas ce qu’il y a dedans. » Elle téléphone à un docteur et demande un rendez-vous car la coquille de l’œuf est sortie de son corps et qu’il y a un monstre dedans qui se reconstitue. Elle se couche sur le divan. Isis qui d’abord jouait avec un long serpent en le secouant violemment, rejoint Lili sur le divan. « Isis veut attraper le monstre mais il n’attaque pas les chiens, que les humains » « Le monstre change, il perd sa peau, ses pattes. Il me griffe, j’ai affreusement mal » Lili dit qu’il faut analyser sa peau au laboratoire. Puis elle m’explique qu’elle rapetisse et rentre à l’intérieur de la coquille de l’œuf, dans le ventre de la maman du monstre. Elle en retire des os et des médicaments. Isis revient vers elle, attaque le monstre. Je dis : « elle te prend pour un animal » Lili part se cacher derrière le rideau, Isis grimpe dessus, Lili lance un coussin sur le chien et part se réfugier derrière la bibliothèque. « J’ai du poison dans mes griffes dit Lili, je laisse mes traces sur le tapis. » Ceci la menace trop et elle signale qu’elle redevient comme avant et qu’elle pond un œuf. « J’allais mourir, je mets mon os dans la terre, l’œuf va éclore, on entend des petits cris. » « Le petit être qui sort de l’œuf doit se débrouiller tout seul. Il respire le poison et lèche le poison sur le sol, alors elle redevient minuscule. Isis a peur de moi. Elle est fatiguée ? Je découvre les os qu’Isis avait enterré. Ma truffe sent quelque chose. Je rentre dans mon œuf. » La séance se termine et avant de partir Lili cache le monstre dans la bibliothèque en me disant qu’il doit rester là.

Le contenu de la séance est très riche, il évoque ce monstre caché dans l’œuf et cette identification de l’enfant à la maladie de la mère, jusqu’à en incorporer les symptômes pour tenter d’apprivoiser l’inconnu, de répéter la scène effrayante à l’intérieur d’elle et dans la séance. Elle devient le monstre, elle attaque, dépose le poison sur le sol, voudrait redevenir un bébé pour se protéger. Mais Lili se sent fort seule avec toute cette problématique très lourde, elle exprime son agressivité et redoute aussi sa violence lorsqu’elle dit « Isis à peur de moi ». Quand Isis devient l’agresseur, Lili semble soulagée car elle déplace ses attaques sur le chien et elle part se cacher ou elle lui lance le coussin pour se défendre.

Durant les séances qui suivirent la santé de la maman se dégradait et son ventre était si gonflé par les tumeurs qu’il donnait l’impression qu’elle était enceinte.

Lili était très anxieuse. Isis était attaquée par le monstre à trois têtes, Lili prenait le canard en plastique sans tête et disait qu’Isis lui avait coupé la tête, puis le tarzan qui ne crie plus parce que la pile est plate en signalant qu’il ne peut plus crier. Elle me dit « tu fais les méchants, les méchant vont être séparé des bons » Je dois cacher les méchants. Je demande de quel côté je mets Isis, elle me répond parfois chez les gentils et parfois chez les méchants. Elle crée un hôpital pour les gentils et les méchants. Il faut opérer Tarzan qui est à moitié mort. Elle dit que les méchants ont attrapé le cancer et qu’il faut aussi les aider.

Au fil des séances, je ressens une ambivalence amour/haine concernant le bon et le mauvais malade, le parent fort qui devient faible et qui n’arrive plus à s’occuper de l’enfant. Cette colère et ce besoin de réparer tout le monde, gentil et méchant. Lili se vit-elle aussi à la fois bonne/sauveur et mauvaise/pleine de rage dans cette situation dramatique.

Plus tard, elle demandera qu’on joue au chien qui a perdu sa maman, insistant sur le fait qu’il faudra se débrouiller tout seul. Elle parle avec la voix du chien et dit « on s’est mélangé, le petit chien et le bébé » Elle aboie, mange des « croquettes calmantes, ou des croquettes qui donnent des pouvoirs et après on n’a plus peur ». « Le chien a pleuré parce qu’il n’a pas vu sa maman, du sang coule par son nez et il pleure des larmes de sang. » Elle dit qu’Isis est sa maman.

Quand un vécu affectif est particulièrement traumatique, comme l’imminence de la perte de sa maman pour Lili, le transfert qu’opère l’animal autorise l’expression du trop plein de douleurs par une mise en acte thérapeutique. Toutes les histoires de Lili prennent sens dans le cadre de la consultation, elle sait qu’elle peut parler au travers de la voix du chien pour dire l’insoutenable, voire l’indicible de son vécu. La mort est une menace bien réelle et ce lien entre les objets/jouets inanimés auquel Lili donne vie et le chien vivant montre combien l’inconscient peut être partagé entre l’humain et l’animal. Ces échanges nous ouvrent d’autres portes, d’autres outils thérapeutiques encore inexplorés.

Depuis deux ans et demi que nous travaillons ensemble, Isis et moi, je peux dire que la relation thérapeutique avec l’enfant m’apparaît plus riche aujourd’hui que quand je travaillais seule. Je n’ose pas encore affirmer que j’obtiens de meilleurs résultats car je ne cesse d’apprendre et de m’étonner mais j’espère avoir suscité chez vous une réflexion et des interrogations sur cette dérive ou cette « nouvelle vague » suscitée par la thérapie conjointe avec un chien.

Sophie BUYSE

Contact: sobuyse@gmail.com

 

4 Responses to “Isis, l’enfant, le thérapeute – Psychothérapies d’enfants en présence d’un petit lévrier italien.”

    avatar
    Marie
    février 22nd, 2014 at 14:44

    Merci infiniment pour ce partage, et pour ces précieuses observations clinques!!… je ne pratique pas encore la médiation animale mais c est de cette maniere que je l ai toujours imaginé!
    Bien cordialement!!
    Marie

    avatar
    Marie
    février 22nd, 2014 at 14:53

    Je me permets de questionner juste la présence des chiots en consultation…et le bien etre de l animal aussi sollicité par les projections et les agirs des enfants

    Merci beaucoup en tous les cas

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    annick Labrot
    février 24th, 2014 at 21:00

    Marie, la rêverie est O combien salutaire, mais il va falloir passer à l’acte! OSONS !!!
    Je comprends que ce récit te séduise, c’est d’une infinie richesse clinique. J’avoue apprécier +++ces billets cliniques, petite respiration entre des sujets qui font débat! (et c’est tant mieux … de faire débat!)
    Merci Sophie pour ce témoignage de pratique en M A !
    Et puis une levrette Italienne, ça change un peu des golden retriever !!! OSONS !

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    laetitia
    mars 3rd, 2014 at 12:23

    Merci beaucoup pour ces vignettes cliniques très riches ! C’est vraiment un bonheur de les lire, c’est comme si « on y était » ! Ce lien entre théorie et pratique, est essentiel… la praxis comme la nomme Joseph Rouzel…

    J’avoue avoir été, comme Marie, un peu dérangée par l’utilisation des chiots dans l’accompagnement de Boris… les passages où le chiot est mis en danger sur l’accoudoir ou encore quand l’enfant mime l’accident avec le chiot dans le camion… Mais comme vous le notez très bien Sophie, « le chien n’est pas un jouet dans le matériel thérapeutique, au même titre que les poupées… ». Ainsi, vous êtes heureusement là pour pouvoir poser des mots et accompagner cet enfant aussi dans cette découverte du vivant, permettant par là même de veiller au bien-être de l’animal avec lequel vous travaillez…

    Merci beaucoup pour la richesse de votre témoignage !! Si j’osais… allez, j’ose… en demander encore 🙂 Il paraît que cette année il faut « OSER » 😉

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