Laetitia Gianelli octobre - 17 - 2012
avatar

Cette semaine, un article d’une toute nouvelle rédactrice avec qui vous avez déjà fait connaissance au détour d’une brève de l’été… Aujourd’hui, Lætitia vient nous parler de son week-end breton autour de la médiation asine, évènement que nous avions annoncé sur le blog! Ce retour d’expérience se fera en trois parties! N’oubliez pas de revenir! Et merci Lætitia pour ce partage! Bonne lecture. Sandie Bélair

 

Le week-end du 22 et 23 septembre, à Elliant dans le Finistère, l’association kéryâne organisait, avec la participation de l’association Médi’âne, un stage autour de la médiation animale: « De l’animal à l’âme, du lien au soin« .

En 2009, Keryâne avait reçu Jean-Claude Barrey, éthologue. Cette année, c’est Sandrine Willems, psychologue clinicienne et auteure de l’ouvrage « L’animal à l’âme », qui a participé à ce week-end riche en questionnements et en réflexions. Il s’agissait notamment de faire des liens entre théorie et pratique autour de la médiation animale en générale et asine plus particulièrement. Ont participé à ce stage des personnes de tous horizons, professions, régions. S’y trouvaient des professionnels « chevronnés » de la médiation animale, des personnes avec un projet en tête, ou encore des personnes presque « novices » dans la médiation asine, simplement très intéressées et curieuses, désireuses d’en savoir un peu plus sur l’âne, son contact, la relation avec cet animal, l’intérêt de travailler avec lui en médiation…

J’ai eu la chance de participer à ce week-end et je fais partie des personnes presque « novices ». J’ai pu en effet « toucher du doigt » cette médiation en participant à la fête de l’âne chez Ânikounâ le 14 juillet dernier à Lalinde et en discutant avec les professionnelles de cette association. Ce jour-là ma curiosité a été piquée et mon intérêt pour la médiation asine a progressivement grandi… Le week-end à Keryâne était donc une superbe occasion d’ »aller voir du côté des ânes si j’y étais » ! Voilà donc ce que j’ai pu vivre et apprendre…

Première matinée : accueil et conférence de Sandrine Willems

Arrivée bien en avance, j’ai été accueillie par une personne très souriante, accueillante et passionnée : Isabelle Postec de l’association Keryâne, infirmière puéricultrice et ânière. Les participants arrivent petit à petit, en grande majorité des femmes…

1- La conférence

Elle débute par les présentations des quatre personnes qui vont animer notre week-end : Isabelle Postec dont j’ai déjà parlé, Manée Séverin de l’association Médi’âne, psychomotricienne, également investie dans l’association Liane, Xavier Séverin, éducateur spécialisé depuis plus de 30 ans et enfin Sandrine Willems, psychologue clinicienne mais aussi docteur en philosophie, écrivain et cinéaste.

 

De g. à dr.: Xavier Séverin, Sandrine Willems, Isabelle Postec, Manée Séverin

© Photo Laetitia GIANELLI

 

Les présentations ont permis aux deux associations d’expliquer comment elles sont nées:

– l’association Keryâne a été créée, il y a plus d’une dizaine d’années suite à la sollicitation du CAMSP situé dans l’hôpital de Quimper parce qu’à l’occasion d’une visite pour voir les animaux (ânes, chèvres, moutons, alpagas), il s’était passé quelque chose entre leur unique ânesse à l’époque et une petite fille infirme-moteur cérébral qui ne tenait pas assise, et qui avait sans arrêt des contractions musculaires involontaires. Alors qu’elle était allongée sur le dos de l’ânesse, celle-ci était aux aguets, les oreilles tendues, refusant d’avancer tant que l’enfant ne se détendait pas…

Médi’âne a été créé en septembre 2002 en Loire Atlantique où se trouve toujours son siège. Cette association est née sous l’impulsion de rencontres et grâce à la dynamique de Nadège Champeau, éducatrice spécialisée, qui souhaitait rassembler des personnes passionnées de l’âne et désireuses de redonner à cet animal une place auprès de l’homme. Médi’âne est en fait un réseau d’âniers, de professionnels du social et du médicosocial convaincus que le contact et les mobilisations avec l’âne peuvent installer un climat d’échange, de lien, de détente, de bien-être et d’élaboration…

Après les présentations, Sandrine Willems a pu nous parler de son ouvrage. A la base, sa relation très forte avec son chien, Balthazar, et son intuition que ce qui se noue avec un animal est très différent de ce qui se noue avec un humain. Nourrie de cette relation, elle a découvert les thérapies assistées par les animaux mais s’est heurtée à deux difficultés : la fermeture du monde psychanalytique à la question des animaux mais aussi les modèles « caricaturaux » de thérapies avec les animaux, où quantification et généralisation dominent, gommant totalement l’aspect de RENCONTRE avec l’animal et de SINGULARITE de cette rencontre. Ecrire ce livre était pour elle un moyen de remettre l’accent sur cette idée de RENCONTRES entre des humains et des animaux.

Sandrine nous a ensuite longuement parlé du contenu de son ouvrage, évoquant des auteurs, des associations, des courants, des concepts et reliant le tout à des anecdotes, des vignettes cliniques, des exemples de ce qui se fait en thérapie assistée par l’animal et des histoires de rencontres entre des hommes et des animaux… Elle a pu évoquer la place particulière qu’occupent les chevaux dans les thérapies avec les animaux et notamment l’importance du fait que le cheval est un animal porteur, reliant cette qualité à la notion de HOLDING de Donald Woods Winnicott. Elle a aussi insisté sur l’importance, en thérapie avec le cheval, de la relation et du dialogue homme-cheval et donc du travail à pied.

Sandrine a évidemment abordé le travail avec l’âne qui s’appuie encore davantage sur la dimension relationnelle, le travail au sol étant encore plus important, l’âne se prêtant peu à être monté. On peut retrouver ses réflexions dans la partie de son livre intitulée « l’asinothérapie : s’accorder au pas de l’âne ». Elle y explique que si la thérapie avec l’âne rejoint sur de nombreux points celle avec le cheval, les différences entre ces animaux donnent aussi une autre tonalité. Un âne, à la différence du cheval, recherchera dans l’humain plutôt un compagnon, qu’il suivra parce qu’il lui est attaché. La personnalité de l’âne, sa prudence notamment, l’incite à ne pas suivre facilement quelqu’un : il faudra développer tout un ART RELATIONNEL pour l’apprivoiser. Sandrine évoque la question de l’ACCORDAGE des RYTHMES : avec l’âne, cet accordage sera particulièrement nécessaire et perceptible. Un âne qu’on prétendrait forcer ou brusquer se « bloquera » au sens tant psychique que physique. En lien, est abordée ensuite cette notion si importante lorsqu’on travaille avec des personnes en difficultés : le DESIR. En raison de sa sensibilité extrême, un âne met du temps à s’adapter à quelqu’un. Il est donc essentiel de le « LAISSER VENIR », comme elle l’explique dans son ouvrage, de laisser le temps à son « désir » d’aller vers l’humain d’émerger.

En conclusion de la conférence, Sandrine Willems a ouvert sur son projet de créer un lieu accueillant des personnes alcooliques ou toxicomanes et possédant un chien. En parallèle serait créé un refuge pour chiens abandonnés et maltraités dont s’occuperaient les personnes accueillies. Elle évoque plus précisément ce projet dans l’épilogue de son livre.

2- Un échange très riche

Suite à l’intervention de Sandrine, les réactions et les questions ont permis d’ouvrir la réflexion.

Nous avons pu évoquer le fait que certains travaillent avec des animaux qui ont été abandonnés, maltraités, d’autres au contraire avec des animaux qui ont été éduqués pour le travail de médiation. Sandrine Willems a insisté sur la qualité de la relation entre le soignant et son animal dans un travail de médiation. Elle a rappelé que, pour elle, ce n’est pas l’animal qui est thérapeutique, ni le soignant, mais bien la RELATION, le lien circulant entre les trois éléments soignant-chien-soigné.

Puis, une personne a posé une question qui a ouvert le débat sur les limites du travail avec un animal. Il s’agit de faire attention à une certaine idéalisation du travail avec l’animal, un certain angélisme mais aussi à ne pas utiliser l’animal comme un « objet ».

D’une part, certains animaux peuvent ne pas vouloir travailler avec tel ou tel patient. Il s’agit de ne jamais forcer à rien et de laisser aussi à l’animal la possibilité de choisir au maximum. Il a aussi le droit de « râler », d’être réticent. Un animal ne peut pas tout supporter… De plus, un animal qui s’ennuie n’est pas un bon « thérapeute », l’amusement et le plaisir est important pour l’animal dans un travail de médiation. D’autre part, les professionnels travaillant avec des animaux doivent être vigilants et ont à se poser constamment la question de la SOUFFRANCE de l’animal : dans quelle mesure l’animal travaillant au contact de la souffrance humaine la subit-il, au même titre d’ailleurs que les soignants accompagnant des personnes en très grande difficulté ? Il s’agit d’être attentif à la résistance de l’animal, aux signes d’épuisement et aux limites qu’il nous montre. Et même le plus possible de PREVENIR son épuisement, avant même les premiers signes. D’où l’importance par exemple pour un chien en institution d’avoir une pièce à lui, pour qu’il puisse s’y retirer, s’y reposer, un « espace de respiration », ou encore pour les ânes de pouvoir se retirer dans un coin du pré, signifiant ainsi leur difficulté à travailler ce jour-là…

A ce propos, Sandrine évoque le cas d’Athéna, une chienne recueillie au sein de la clinique psychiatrique de Saumery. Dans son ouvrage, elle explique que les patients de la clinique s’inquiètent de voir parfois la chienne fatiguée, à force de prendre sur elle les problèmes de tout le monde. Les psychiatres eux-mêmes confirment cette sensibilité de la chienne pouvant la conduire à l’épuisement. Sandrine nous explique qu’elle avait parfois besoin de « s’échapper » dans les bois autour de la clinique pour se reposer.

Suite à ce constat, une personne a fait part de sa propre expérience. Elle a pu comparer la façon de travailler avec les ânes au cours de deux stages. Dans le premier, les professionnels étaient à l’ECOUTE des ânes et dans le RESPECT de ce qu’ils pouvaient montrer : si un âne ne voulait pas travailler et le signifiait par exemple en s’éloignant du groupe, il ne travaillait pas à ce moment-là. Dans le second, les ânes devaient travailler, qu’ils en aient envie ou pas. Ils étaient d’ailleurs choisis d’avance. Le constat a été le suivant : la journée se passait de façon très différente selon la façon de procéder, les ânes ne voulant pas travailler au départ et y étant forcés manifestant leur profond désaccord en marchant sur les pieds des gens, en les poussant dans l’eau ou encore en s’arrêtant et refusant de repartir.

A cet endroit de l’article, j’éprouve le besoin d’ajouter que le respect de l’animal et sa prise en compte comme sujet à part entière ont été, durant tout le week-end, des éléments très présents. Cette notion de SUJET a évidemment résonné très fort en moi. En effet, en tant qu’éducatrice spécialisée, la question est omniprésente dans mon travail : la personne que l’on accompagne comme sujet à part entière… Et cela renvoie aussi à une notion essentielle lorsque l’on travaille avec des êtres vivants, qu’ils soient humains ou animaux : celle de l’éthique, renvoyant à son tour à celle de notre responsabilité. A ce propos, l’expression « éthique animale » n’est pas nouvelle puisqu’elle est apparue au XIXème siècle. Dans l’introduction de son ouvrage « L’éthique animale », Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, docteur en sciences politiques, en philosophie et juriste, définit cette éthique animale comme «  l’étude du statut moral des animaux ou de la responsabilité morale des hommes à l’égard des animaux pris individuellement « . Il explique plus loin que «  le point de départ le plus commun, la raison d’être de l’éthique animale la plus fréquemment invoquée, est l’existence d’une souffrance animale « .

Dans le prolongement de cette réflexion sur l’importance du respect et de l’écoute de l’animal, Manée Séverin nous a parlé de l’importance de travailler sur les ESPACES avec les ânes notamment :

– Un espace de vie, l’espace troupeau où ils peuvent disparaître de notre vue,

– Un espace de pré-contact, sorte de « sas », où le contact ânes-patients peut s’amorcer et où l’âne se prépare à travailler,

– Différents espaces de travail selon les séances.

Nous avons ainsi pu évoquer aussi l’importance des conditions de vie de l’animal avec lequel on travaille : plus les conditions de vie sont bonnes et respectent ce qu’est l’animal, plus celui-ci sera apte à travailler. Par exemple, un cheval qui vit en box ne travaillera pas de façon aussi détendue et fluide qu’un cheval vivant au pré. Ceci renvoie également à ce que j’ai écrit dans la deuxième partie de l’article sur la notion de « champ détendu », puisque nous avons pu en faire l’expérience lors de la mise en contact avec les ânes…

Puis, intervient le directeur d’un lieu de vie accueillant des jeunes en très grandes difficultés sur un site où divers animaux sont présents (chiens, chèvres, chevaux, lamas, vaches, ânes…), rappelant un peu la Bergerie de Faucon de Guy Gilbert. Il nous fait part de nombreux exemples concrets de relations fortes entre ces jeunes et les animaux dont ils s’occupent et conclut en disant que « chaque animal peut apporter quelque chose à l’homme « . Sandrine termine sur le fait que souvent « adopter un animal c’est être adopté « …

Enfin, est évoqué un très beau témoignage de Jean Oury, psychiatre et psychanalyste français, à la clinique de Laborde : il s’agit de l’histoire d’un enfant psychotique qui « désertait » toujours l’atelier poterie. Jusqu’au jour où il est resté et s’est assis. La fois suivante, il a de nouveau quitté l’atelier. Et ainsi, certains jours il restait, d’autres il s’échappait… Les professionnels ont donc redoublé d’attention afin de comprendre les raisons de ce comportement… Ils ont ainsi pu remarquer que la présence de l’enfant était liée à celle d’un chat ! En effet, ce chat avait pour habitude de se percher sur une étagère dans la pièce. Les moments où l’enfant venait à l’atelier coïncidaient avec ceux où le chat était présent… Les sujets psychotiques, selon Oury, « garderaient quelque chose de la « vivance » des animaux, c’est-à-dire d’un rapport non médiatisé par les mots. Quoi d’étonnant dès lors à ce qu’ils recherchent leur contact« .

Laetitia GIANELLI

Pour en savoir plus:

Sur le même sujet et sur le blog:

L’âne dans un travail de lien social: 15ième rencontre Médi’Âne du 19 au 24 novembre 2012

Les brèves de l’été 2012 # 1: La fête de l’âne chez Ânikounâ, un 14 juillet « ân-imé » !

De l’animal à l’âme, du lien au soin… un week-end de rentrer à ne pas manquer!

A petits pas vers un et un font deux!

Orelhas Sem Fronteiras » ou la médiation asine au Portugal!

Les ânes de Janicou

Construire des liens et structurer une rencontre: au travail les ânes!

L’âne et l’ado!

A chaque jour suffit son bonheur!

Médiation avec l’âne… un chemin pour aller vers soi

L’un, l’âne et l’autre

3 Responses to “Un week-end de médiation asine # 1”

    avatar
    Perruchot Carole
    novembre 14th, 2012 at 23:15

    Bonsoir je voudrais savoir ou je peux me procurer le livre de Sandrine Willems cordialement

    avatar
    laetitia
    novembre 22nd, 2012 at 17:26

    personnellement je l’avais acheté à sa sortie à l’espace culturel d’un leclerc. Il est dispo sur le site internet de vente amazon aussi. Je pense que tu peux le trouver dans les grandes librairies (type Mollat à Bordeaux).

    avatar
    Sandie Bélair
    novembre 22nd, 2012 at 19:10

    je l’ai vu également à la FNAC

Leave a Reply

Recevez les articles par mail

A propos

La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

Sandie

Recherchez sur le blog

A découvrir

Bibliographie

Définition Médiation Animale