Sandra Massy juillet - 6 - 2018
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Deuil pour le thérapeute

Je vous ai déjà parlé de mon expérience face à la fin de carrière des équidés qui m’ont permis de pratiquer la thérapie avec le cheval en tant que thérapeute avec le cheval, l’âne et le mulet pendant de nombreuses années. C’était là le début de mes réflexions sur la mort des mes compagnons animaux. J’ai à ce moment conscientisé que l’accompagnement de fin de vie serait la prochaine étape de notre parcours ensemble. J’ai aussi à ce moment dû faire le deuil de ma pratique en tant qu’indépendante avec ces équidés en particulier.

J’ai eu la chance de pouvoir continuer à proposer de la médiation animale dans une institution, ce qui me permet de garder mes anciens à la maison.

En ce début d’année 2018, je me suis retrouvée avec un troupeau plus clairsemé mais aussi plus forte de deux expériences : l’accompagnement de deux de mes équidés jusqu’au seuil de la mort.

Je me propose donc de partager le chemin effectué avec le troupeau et de vous conter le départ de Beat, un mulet extraordinaire.

Cela fait 17 ans que j’habite dans la même ferme, où, avec l’appui de ma famille, nous avons constitué un troupeau d’équidés hétéroclite, sans oublier tous les autres animaux qui habitent la maison et/ou la grange… cela fait bien des âmes sur lesquelles veiller !

Dans ma vie remplie de compagnons animaux, j’avais déjà accompagné un certain nombre de petits animaux lors de leur départ.

A chaque fois, cela a été un déchirement de les quitter et à la fois un soulagement d’abréger leurs souffrances. Seuls les lapins et quelques poules sont partis discrètement, sans rien dire ni rien demander, discrets comme à leur habitude…

Mais j’avoue que je craignais un peu le départ des chevaux, des ânes et des mulets, tant par l’envergure des animaux que par l’investissement affectif qui va avec.

Non pas que l’attachement soit proportionnel à la taille de l’animal, mais je dois avouer que pour ma part, j’ai une relation particulière à mes équidés, compagnons de route depuis 1995 pour certains, compagnons sur mon chemin de vie, qui ont vu la construction de ma famille pour la plupart, puis qui furent mes collègues de travail, je pressentais que cela ferait plusieurs deuils à effectuer au moment du départ.

J’ai un grand respect pour le vivant et je salue le départ de toute créature que je vois quitter ce monde pour l’autre réalité, en lui souhaitant une belle traversée… Mais j’avoue que c’est plus simple quand c’est un animal peu ou pas connu personnellement, tout comme pour les départs des personnes qui nous entourent, où les deuils éloignés nous touchent forcément moins que ceux de nos proches.

Donc vous l’aurez compris, je crois (ou j’espère) qu’il y a une autre réalité après la mort, où l’on est en paix, animaux comme humains. Pour les équidés je nomme ce lieu la grande prairie, car j’aime à penser que c’est dans un tel lieu qu’ils sont…

Mais finalement quoi que l’on croie -ou pas- de toute façon avant de traverser nous-même pour vérifier, nous sommes réduits à nous rassurer grâce à nos croyances. Et quel que soit le paradis -ou le néant- imaginé, il ne retire rien à la douleur de perdre un être aimé, qu’il soit humain ou animal.

Vous l’aurez compris, je redoutais la traversée de mes équidés tout en souhaitant pourvoir les accompagner au mieux…

Dans le même temps, actuellement à la tête d’une écurie vieillissante, pour ne pas dire une écurie de soins palliatifs, je savais bien que la situation finirait par se présenter.

Une situation redoutée, mais pas encore vécue, peut être anxiogène… Pour ma part, comme je ne souhaitais pas trop y penser précisément, je me réfugiais derrière des platitudes du genre « il y a trop de variables pour imaginer comment faire… », « on verra bien sur le moment comment ça se présente… ». Un peu comme un accouchement, quand on essaye de se représenter LE moment (si on est une femme enceinte, mais je pense tout bien réfléchi que c’est encore pire d’essayer d’imaginer un accouchement quand on est un homme…). Accompagner un départ, une mort, c’est un peu du même ordre. Vu le caractère sacré de ces passages entre la vie et la mort, on se sent et on se sait tout petit. On espère juste que l’on sera à la hauteur de l’événement !

 

Beat – © Photo S. Massy

 

J’étais donc depuis quelques années en attente de savoir comment moi, mais aussi ma famille et le troupeau, nous allions gérer ces inévitables départs. J’avais demandé à mes animaux, à qui je parle beaucoup de tout et de rien, mais parfois aussi de choses sérieuses, d’être clairs lors de leur départ. Je voulais bien les accompagner et abréger leurs souffrances si nécessaire, mais je voulais « être sûre » que c’était le bon moment…

Puis un weekend Beat, mon immense mulet, a montré des signes d’inconfort… il ne voulait plus manger, ce qui est vraiment le comble pour un mulet ! Mais ce n’était pas vraiment aigu, certainement une petite colique de gaz, comme il en a régulièrement fait tout au long de sa vie. Puis il a remangé et il a revendiqué sa place de chef durant quelques jours. Puis il a de nouveau eu mal au ventre… Beat est porteur de la maladie de Lyme depuis plusieurs années et périodiquement on voit bien qu’il est extrêmement raide et que tous ses déplacements sont difficiles. Là il semblait cumuler les deux, raideurs de la Lyme et douleurs internes. Appel au vétérinaire, ennemi juré dudit mulet ! Durant les seize années que Beat a passé chez nous, il n’a jamais eu besoin du vétérinaire, ou soyons honnête, il a eu besoin du vétérinaire une ou deux fois, mais il a fermement et très impoliment refusé les soins du vétérinaire et nous avons d’un commun accord décidé que quand il souffrait, il se débrouillait avec nos soins et le coaching à distance du professionnel, qui déclenchait des réactions de défense dangereuses chez Beat quand il était dans un rayon de 500 mètres autour de sa stabulation.

J’ai prévenu le cabinet vétérinaire que c’était Beat qui était au plus mal, ils ont alors envoyé un vétérinaire très expérimenté et nous avons « tenté » une approche de l’animal, qui était tellement mal qu’il s’est laissé examiner sans broncher. C’était confortable pour le vétérinaire, mais pas rassurant sur l’état de Beat. Nous avons ainsi, pendant plusieurs jours, pu le soulager avec des injections, cru que la situation allait tourner et finalement j’ai dû me résigner à entendre que mon « terrible » mulet me disait en restant tellement tranquille…que c’était le bon moment pour lui !

En accord avec le vétérinaire qui voyait les premiers signes d’arrêt des organes internes et après une dernière nuit calme avec son troupeau, un au revoir des enfants, nous avons, mon mari et moi, accompagné Beat jusqu’au seuil et nous l’avons regardé quitter notre monde, afin qu’il rejoigne la grande prairie…

C’était un matin de novembre 2017, le lendemain de la fête des morts. Pour reprendre les mots du début de l’article, je pense que cela s’est « bien présenté », que la petite semaine que je vous ai décrite s’est déroulée au mieux et que cela s’est terminé de la plus belle des manières possibles pour ce fier mulet.

Personnellement, j’étais prête à le laisser partir, prête à ne pas le laisser souffrir inutilement, j’ai eu quelques jours pour me préparer à l’idée que le moment tant redouté était certainement arrivé et Beat a su me montrer avec ses regards et son langage corporel qu’il était arrivé au bout des possibilités de son grand corps. Il est parti en paix, calme et l’air serein, couché dans les parcs qu’il aimait, avec ses copains pas loin.

Au vu de son passé avec les vétérinaires, c’était inespéré…

Je me sens donc pleine de gratitude pour toute cette aventure, pour les seize années partagées et surtout pour cette nouvelle expérience qui m’a montré que, quand tous les signes sont alignés, même avec un animal que d’aucuns qualifieraient de « compliqué », accompagner un compagnon animal jusque sur le seuil et le laisser traverser peut être une magnifique expérience.

J’espère avoir été à la hauteur de l’évènement, en tous les cas, ce qui est sûr c’est que Beat l’a été, bien plus que dans toutes les projections que j’avais pu faire avant.

Quand un compagnon animal nous quitte et quand, comme dans l’histoire que je vous ai relatée, on n’a pas de regrets ou de culpabilité face au bon moment pour son départ, que l’on est témoin de sa paix en partant, il reste tous les souvenirs à chérir et de la gratitude pour les moments passés ensemble.

Le processus de deuil pour le thérapeute qui accompagne ainsi un compagnon animal peut se faire de manière simple et fluide.

Et parfois, quand je me promène dans les parcs, je peux sentir son énergie, qui m’effleure dans la brise…

Sandra Massy

6 Responses to “Accompagner nos animaux jusque sur le seuil…et les laisser partir!”

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    Cécile BANOS
    juillet 6th, 2018 at 21:43

    C’est un très bel article Sandra qui aborde une thématique essentielle et qui je pense parle à tous les professionnels de la Médiation Animale : Nos relations à nos compagnons animaux. Tu parles magnifiquement bien de notre profond attachement à eux et du chemin difficile et nécessaire pour les accompagner jusqu’au bout… C’est un sujet tellement intime et en même temps tellement commun (dans le sens où l’on y est tous confronté) qui mérite que l’on en parle, que l’on y travaille, que l’on se soutienne…

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    Hélène Galland BizCard
    juillet 11th, 2018 at 9:42

    merci!!!!

    Meric encore!!!!

    La larme ou les larmes sont ruisselant de mes yeux…

    Je suis dans le questionnement depuis 2 ans avec mon animal métastase, avec Lyme et AVC… Une battante qui veut être là, à mes côtés. Qui aime la vie. Mais comment réagir : anticiper par un relais qui assurera de ne pas ouvrir ce trou béant généré par la parte de cet être si cher ?? ou se laisser porter par l’intuition lorsque la situation se présentera ?? Je ne sais… Questionnements, hésitations… Meric pour ce sujet. Tellement omniprésent sans qu’il ait été abordé. La question suivante : comment le présenter aux résidents qui expriment leur interrogation ; dans la conscience de la réalité, ou dans l’évitement ? Merci pour un prochain retour. Très bonnes manifestations de vie de votre mulet à vous et la meilleure des vies à vous!!! H

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    Sandie Bélair
    juillet 11th, 2018 at 19:27

    Merci Sandra pour ce bel article qui me touche! Tu as raison Cécile, c’est un sujet qui doit nous faire réfléchir, parler et il paraît essentiel de se soutenir…

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    Sandra Massy
    juillet 11th, 2018 at 19:56

    Merci à toutes pour vos commentaires, qui me confortent dans l’idée de parler de tous les sujets et sans tabou.
    J’ai effectivement eu la chance de pourvoir accompagner Beat, sans faire face à des patients, à leurs questions et à leurs émotions, en plus des miennes…
    Mais cela m’est arrivé une fois, avec le copain de Beat, qui a avait été hospitalisé un mois, pendant que j’avais encore une pratique de TAC. Ce sera peut-être le sujet d’un autre article… Comment concilier prendre soin des patients et de soi-même dans les situations de crise…
    Bonne suite à ceux qui accompagnent des animaux malades, mes meilleures pensées !!!

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    isanimale mediation
    juillet 16th, 2018 at 12:46

    Bonjour, s’il y a bien un lien fort parmi tant d’autres c’est bien celui là, celui que nous avons avec nos compagnons , collègues, bref notre équipe animale…chez moi, point d’équidés mais chien et cobayes dont je me soucie au quotidien, notamment en ce moment avec la canicule et les déplacements en voiture que j’annule carrément ou déplace au matin pour qu’ils soient le moins impactés possible.Chaque décès d’un animal proche est douloureux mais quand on travaille avec au quotidien, c’est encore plus fort…Laila del Monte pour ne pas la citer a un site internet, cette dame a une perception particulière de la vie animale, passionnante…elle a écrit un article sur l’euthanasie ou non, très fort et très riche….

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    Yasmine Debarge
    juillet 25th, 2018 at 8:41

    Merci Sandra: très émouvant…

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