Jean-Claude Barrey juin - 23 - 2011
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Et voici la suite du passionnant billet de Jean-Claude. Pour rappel ou pour les retardataires, vous pouvez lire le premier volet intitulé « Cohabitation et relations homme-cheval # 1: Rappel sur les bases du comportement du cheval »: ici.

N’oubliez pas de revenir pour découvrir le dernier volet!

Bonne lecture et à très vite. Sandie

II. L’environnement imposé au cheval

Actualisation de l’adaptation

Les bases du comportement que nous avons exposées dans la première partie ne donnent pleinement leur effet que si elles s’appliquent à des chevaux vivant en liberté relative, dans un espace large, parmi des congénères en nombre suffisant pour établir des relations sociales normales.

Dans ces conditions, le cheval a été étudié par de nombreux auteurs et son comportement est relativement bien connu.

Mais, pour utiliser le cheval, l’homme le soumet à un régime de confinement ou de semi liberté qui ne permet plus le jeu spontané des coordinations héréditaires, soit par manque d’espace, soit par absence des déclencheurs appropriés. Les comportements innés du cheval se sont fixés par adaptation à un environnement herbacé ouvert, et la plupart des coordinations héréditaires qu’il possède sont les vestiges des adaptations d’hier’ (28), peu appropriées à la vie dans des lieux étroitement cloisonnés.

Curieusement, peu de recherches ont été menées sur les modifications de comportements entraînées par ces circonstances particulières.

Dans un habitat naturel, les principaux comportements du cheval, c’est à dire ceux pour lesquels il a un fort Potentiel d’Action Spécifique, sont dans l’ordre des durées, le pâturage, le repos, la surveillance, la marche, les interactions diverses (rapports sociaux, fuite, jeux, … ) (24). Toutefois l’extériorisation d’un comportement, n’est pas forcément le reflet exact de sa production d’excitation endogène: l’activité alimentaire qui est, en durée, la plus importante, n’est pas très grosse consommatrice d’excitation endogène, alors que les activités locomotrices, particulièrement le trot et le galop, qui sont relativement peu employées, sauf dans la fuite, donnent lieu à une très forte production d’excitation endogène qui reste pratiquement toujours disponible.

 

 

Il faut d’ailleurs remarquer que plusieurs types d’activités peuvent se recouvrir, ce qui fausse les mesures en durée. La locomotion intervient dans toutes les activités, sauf le repos, et les interactions sociales interviennent dans toutes les activités du cheval sans exception. Comment le cheval peut-il donc supporter, avec un minimum de dommage, la vie totalement inadaptée que nous lui imposons ? Nous allons voir qu’un certain nombre de mécanismes le permettent. Rôle de la domestication Comme l’a montré Changeux (1 1), une transformation génétique stable, ‘l’extinction de certains gènes de communication cellulaire, parait suffire à expliquer la fixation de certains caractères de jeunesse’. Or c’est précisément cette persistance des caractères de jeunesse, encore appelée néoténie ou foetalisation, qui caractérise l’aptitude à la domestication. Comme c’est le cas chez le jeune dans les espèces sauvages, l’adulte domestique conserve cette fragmentation des programmes innés de comportement, multipliant les phases de comportement d’appétence qui sont justement celles où peut s’introduire l’apprentissage.

La domestication agit également sur les Mécanismes Innés de Déclenchement qui deviennent moins sélectifs. Ceci permet la mise en route des programmes d’actions instinctifs par des stimuli déclencheurs très approximatifs ou par des stimuli conditionnés à partir des déclencheurs inconditionnels. Cela élargit considérablement le champ d’application des programmes innés, car l’animal est beaucoup moins enfermé dans des enchaînements comportementaux rigides.

Ainsi, le comportement social acquiert une plasticité nouvelle, grâce à des M.I.D. moins sélectifs, et la reconnaissance individuelle qui conditionne l’appartenance au groupe, n’est plus limitée aux congénères : le groupe social fermé, ou presque fermé, est devenu ouvert, ou presque ouvert, ce qui permet à l’homme de s’y introduire comme ‘valant un cheval’ (5). Si les comportements sociaux spécialisés sont devenus moins contraignants, si les agressivités défensives et de compétition ont diminué, par contre un certain nombre de comportements suivent, dans le phénomène biologique de domestication, un chemin inverse et s’hypertrophient à la suite de très grandes fluctuations dans la capacité de production d’excitation endogène, particulièrement celles concernant les fonctions les plus primitives telles que l’alimentation et la sexualité. Le cheval domestique a acquis un nouveau degré de liberté et d’indépendance par rapport aux règles innées de son espèce, ce qui lui donne plus de souplesse pour s’adapter à des conditions inhabituelles et le rend très souvent capable de résoudre avec perspicacité des problèmes devant lesquels le même animal à l’état sauvage serait tenu en échec.

Terrain comportemental

Mais le cheval reste soumis à des ‘pulsions’ dues à la production d’excitations endogènes, et, dans l’ordre d’importance il faut distinguer celles concernant la sécurité (vigilance visuelle, auditive, olfactive; mobilisation; marque de passage; écarts, fuite, défenses diverses), la cohésion sociale (recherche de présence, compagnonnage; hiérarchie; rituel de contact; rituels d’apaisement et de soumission; interactions sexuelles), la motricité (liée aux autres groupes d’excitations), l’alimentation (besoins alimentaires, recherche d’aliments, mastication, déglutition), le repos (sommeil, sommeil Paradoxal, repos éveillé, toilettage, activités de confort), chacun des groupes étant subordonné au précédent et prioritaire sur ceux qui suivent.

De plus, si cohésion sociale et motricité possèdent leur propre motivation, elles sont en outre au service de toutes les autres activités: on les qualifie d’activités instrumentales.

Or, c’est dans un cadre créé par l’homme, de manière rigide, que le cheval va devoir développer des stratégies adaptatives, tant à l’inhibition de l’action qui lui est imposée la plus grande partie du temps qu’à l’action dirigée que nous attendons de lui pour notre service. Dans la mesure où ses stratégies adaptatives ne sont pas parfaites, il développera parallèlement des pathologies.

Modifications apportées à l’espace social

L’espace social est la partie du domaine vital où se trouve le groupe. La sécurité y est assurée par la vigilance de chacun et la position de chacun est déterminée par ses rapports avec tous les autres.

Dans les conditions habituelles d’entretien du cheval en box, nous le plaçons dans un milieu très pauvre en signaux propres à son espèce, c’est à dire ceux qui sont, pour lui, porteurs de signification, et qui constituent son « horizon perceptif ». Par contre, cet environnement est, pour lui, saturé de signaux propres à l’homme, donc sans signification.

Modifications des comportements concernant la sécurité

Le cheval placé dans un milieu appauvri et confiné souffrira d’une baisse d’intensité dans la mise en œuvre de certains mouvements instinctifs, ceux pour lesquels manquent les stimuli déclencheurs, et dont le déroulement normal est entravé par le manque de place et de liberté. Ainsi, le cheval entier vivant en box abandonne complètement tout comportement de marquage pour lequel cependant un étalon en liberté manifeste une très forte appétence puisqu’il fait partie du groupe sécurité prioritaire sur tous les autres, même sur le comportement sexuel.

La vigilance visuelle et olfactive semble un peu atténuée, du fait de la limitation de l’espace, mais la vigilance auditive, moins entravée par la saturation de notre espace parait au contraire très avivée. Le moindre bruit ayant voleur de signal, tel que le pas d’un autre cheval, le grincement habituel du seau de nourriture, ou certains bruits aigus évoquant un hennissement, provoquera immédiatement un appel caractéristique du cheval qui, dans la nature, se trouve visuellement séparé de son groupe et donc en situation dangereuse. Car pour un cheval, la sécurité c’est d’être inséré dans un groupe social stable dans lequel il occupe une place bien déterminée et qui n’est pas remise en cause.

En ce qui concerne les comportements locomoteurs de sécurité, tels que écart, fuite, acculement, etc. … qui sont normalement d’une totale disponibilité, ils manifestent, faute de déclencheurs appropriés, un abaissement des seuils de stimuli tel que ces comportements peuvent se déclencher pour des raisons tout à fait inadéquates, ou même à vide, sans aucune raison, le cheval donnant l’impression de chercher à se faire peur pour évacuer un P.A.S. trop important.

Modification concernant la cohésion sociale

Le cheval manifeste toujours une très grande appétence pour les contacts sociaux à tel point que l’on pourrait dire, en paraphrasant Yerkes (cité par Lorenz – 27) : « Un cheval seul n’est pas un cheval ».

Au pâturage, même l’animal le plus bas dans la hiérarchie, rejeté par tous, s’arrange pour rester en vue du groupe.

Un poulain élevé à l’écart de ses congénères, et surtout s’il reste avec sa mère jusqu’à un âge avancé, restera agressif avec les autres chevaux. A tout âge, d’ailleurs, l’isolement entraîne une agressivité anormale, mais un animal isolé et remis au pré en situation sociale essayera généralement d’établir sa dominance sans réussir autre chose que déclencher en retour l’agressivité des autres et il n’arrivera jamais à s’intégrer correctement au groupe. La tendance normale d’un cheval à établir une relation privilégiée de compagnonnage est si forte que les chevaux en box finissent par établir de telles relations avec leurs voisins, qu’ils n’ont pourtant pas choisis. L’appétence pour cette relation étant prioritaire sur les comportements alimentaires, dès que le compagnon est éloigné, certains chevaux émettent des appels et peuvent refuser la nourriture tant qu’ils sont seuls.

Grâce à la perte de sélectivité des déclencheurs due à la domestication, la tension engendrée par la solitude peut aussi amener le cheval à projeter ses besoins d’attachement social sur des objets normalement inadaptés, des animaux d’une autre espèce (mouton, lapin … ) et encore plus fréquemment sur l’homme qui prend un statut de « valant le cheval’.

L’homme peut alors jouer pleinement son rôle en permettant le déroulement normal d’un certain nombre de comportements sociaux instinctifs à forte motivation interne, et dont l’inhibition entraînerait des attentes en tensions et même des dépressions avec les troubles physiologiques sous jacents (22).

La simple présence de l’homme, partenaire habituel, palefrenier ou cavalier, remplace la relation de compagnonnage, et le pansage est un substitut acceptable au toilettage réciproque. Certains chevaux très réactifs, que l’on qualifie à tort de chatouilleux, manifestent , lorsque l’ on les étrille, une certaine propension à vous rendre la politesse du grattage avec des pincements de mâchoires ‘délicats’. Subir le pansage sans y répondre est l’indice d’un caractère de jeunesse persistant, dû à la domestication, et qui s’apparente plutôt à la soumission à la mère, car les poulains entre eux ont souvent de longues séances de grattage réciproque.

Modifications concernant la dynamique spatiale

Les besoins locomoteurs du cheval sont importants, mais ils sont généralement liés à d’autres activités. La locomotion liée à l’alimentation est calme et l’évacuation de la tension est suffisamment assurée par les déplacements à l’intérieur du box. Par contre, la motricité liée à la sécurité est déclenchée par une excitation endogène puissante capable d’engendrer des actions violentes: galop rapide, saut de mouton, ruades. Ces activités ne peuvent rester longtemps inhibées sans dommage, et se déclenchent à la moindre occasion, telle que le simple passage vers un espace plus large, la présence d’un chien, une zone sombre, un rayon de lumière, ou même rien du tout de perceptible à nos yeux (mais peut être un son ou une odeur). A défaut de pouvoir s’extérioriser, ne serait-ce que sous la forme atténuée du travail quotidien, ces coordinations héréditaires provoqueront une réaction de déplacement ou réorientation, vers une activité substitutive (1). Celle-ci est toujours l’expression d’un conflit, et appartient aux catégories des soins de toilette (se frotter, se gratter), à la prise de nourriture (mâcher un brin de paille, lécher, déglutir…), du repos (bailler, s’étirer, soupirer…), de locomotion (gratter, taper, se balancer … ).

Une pathologie peut apparaître, par exemple sous forme de mouvements stéréotypés, telle que piaffer, tic à l’ours … (6).

Dans les comportements concernant la dynamique spatiale, nous pouvons inclure les réactions d’agressivité et d’évitement dont le rôle est de protéger l’individu de ses congénères, et d’assurer une dispersion suffisante des animaux de la même espèce.

C’est ainsi que le cheval s’entoure d’une zone de protection que nous avons appelée Espace Dynamique Virtuel (E.D.V.), (souvent, mais improprement appelé ‘bulle’) et dans laquelle il ne laisse pénétrer un congénère qu’après exécution d’un rituel de contact naso-nasal (2).

L’E.D.V. se structure en fonction de la dynamique propre du cheval et des mouvements des autres animaux par une sorte d’analyse cinématique inconsciente des déplacements réciproques, qui a été qualifiée de fonction ratiomorphe (8).

En cas d’intrusion sans rituel à l’intérieur de son E.D.V., Ie cheval réagit soit par un mouvement de fuite, soit par un signe prodromique d’agression (oreilles couchées, fouaillement de queue, soulèvement d’un postérieur … ), soit par une agression franche (projection de la tête, morsure, coup de pied, ruade … ). Or, en box, le cheval a tendance à étendre son espace personnel de protection à l’ensemble du box. Dans ces conditions, entrer dans son box sans effectuer de rituel de contact naso-nasal peut être ressenti par le cheval comme une agression et déclencher une réaction de fuite, qui, étant inhibée, sera dérivée vers une réaction de défense (3).

Le fait que chaque entrée dans un box ne donne pas lieu a une réaction de ce genre s’explique par l’agressivité généralement faible du cheval domestique, par l’habituation qui joue tant que les conditions et les personnes restent identiques, et enfin par conditionnement. En effet, le poulain, à un âge immature où les rituels n’ont pas encore acquis le caractère impératif qu’ils ont chez l’adulte, est nourri, manipulé, flatté, alors qu’il tend la tête pour solliciter le rituel de contact, il associera ces comportements gratifiants, dans un conditionnement de premier, second, troisième ordre… (6). C’est pourquoi, à l’âge adulte, dans de bonnes conditions, la seule action de la voix peut se substituer au rituel. Mais si le cheval est dans un état excité, ou s’il se produit un « décrochage affectif » (frayeur, geste maladroit, ou même palefrenier alcoolique!) il devient indispensable de revenir au rituel naso-nasal pour éviter un occident (3).

Modifications concernant le comportement alimentaire

Le cheval au pré consomme jusqu’à soixante kilos d’herbe fraîche par jour. L’adaptation phylogénétique a dotée le cheval d’une production d’excitation endogène correspondant à ce besoin et il possède un ‘potentiel » quotidien de coups de mâchoires à peu près constant, qu’il utilise en 1 2 à 15 heures.

Un cheval en box qui reçoit en plusieurs repas, sous forme de granulés, une nourriture équilibrée, sera ‘physiologiquement » rassasié avec une activité consommatoire de deux heures au maximum pendant laquelle il aura mâché (comportement motivé) pour se nourrir (comportement motivant). Mais il lui reste un très fort surplus de coups de mâchoires inutilisés qui constitue une tension non résorbée. Il manifestera alors un comportement d’appétence pour tout objet lui permettant d’évacuer la tension : paille, ou à défaut, le bois des portes, bat-flanc, râtelier, … qu’il mordillera ou rongera. La paille de la litière est un bon substitut et on voit alors une inversion des comportements motivé et motivant : le cheval ne mâche plus pour se nourrir, il se nourrit (comportement motivé) pour mâcher (comportement motivant et acte consommatoire). L’inconvénient est qu’il peut aussi consommer trop de paille avec les risques d’indigestion et de colique que cela représente.

Mais la limitation de la paille peut aussi entraîner une stratégie pathologique qui est le tic aérophagique, c’est à dire une déglutition d’air avec ou sans appui des dents sur un rebor approprié, ce qui entraîne des troubles divers. De plus ce tic est généralement irréversible, même en remettant le cheval au pré, où il utilisera les piquets de clôtures comme appui (19).

 

Modifications concernant le repos et les activités diverses

Le sommeil lui même est influencé par les conditions de vie, puisque le cheval en liberté à l’herbage dort environ 19% de son temps, alors qu’en box, il y passera environ 25 % s’il est nourri au foin et plus de 30 % s’il est nourri au concentré. Cela n’est d’ailleurs pas étonnant car une succession de stimuli variés, non spécifique, est nécessaire pour éviter une baisse du niveau d’excitabilité générale. Or ce qui caractérise la vie en box, c’est justement la monotonie.

Jean-Claude BARREY

Pour en savoir plus:

A suivre:

– III. La relation Homme-Cheval

– La bibliographie et les notes de lecture

N’oubliez pas de revenir donc…

Les billets de Jean-Claude sur le blog

Cohabitation et relations homme-cheval # 1: Rappel sur les bases du comportement du cheval

Ethologie: méfiez-vous des contrefaçons…

Votre cheval est-il heureux?

– Les chevaux et leurs cousins: les ânes

Le livre

Jean-Claude BARREY et Christine LAZIER, « Ethologie et écologie équines – Étude des relations des chevaux entre eux, avec leur milieu et avec l’homme », Editions Vigot, 2010, 208 p., 35 euros

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