Dr Didier Vernay janvier - 27 - 2011
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Il est des livres singuliers. Ce sont des clés attendues. Les deux publications récentes dont je vais vous parler, sont pour moi de ce type.

N’êtes vous pas surpris par le contraste entre l’exceptionnel dynamisme fécond et contagieux qui touche et que transmettent en général les « honnêtes pratiquants » des AAA, et le coté relativement « tiède » des discours scientifiques et théoriques cherchant à analyser ce phénomène? Lors des rencontres, réunion et débat, combien de fois n’ai-je pas perçu ce fossé. Par ailleurs après un exposé sur les pratiques, le grief d’un manque de crédibilité scientifique et de construction théorique m’a nombre de fois été adressé . . . par ceux précisément dont on était en droit d’attendre, vu leur fonction, ce type de travail ! Lorsque j’opposais cette remarque à leurs critiques, il m’était avancé que compte tenu des orientations de leur équipe ou des outils dont ils disposaient, il leur était difficile de . . . . Bref avec pas mal de recul, d’expériences et rencontres, je me suis progressivement forgé l’opinion que le réel problème ne résidait pas tellement dans le manque de données scientifiques fiable (même si il y a beaucoup à dire) mais plutôt dans l’incapacité des chercheurs monodisciplinaires à intégrer et contextualiser les données du puzzle issues de la pratique et programmes de recherche. Dans ce cas aucune image cohérente ne se construit et l’on retourne en boucle stérilement des pièces qui pourtant misent en perspective pourraient prendre sens et ébaucher le paysage de ce que pourrait être les grilles de lecture du paysage de la médiation animale. Pour cela, outre une bonne connaissance de sa discipline d’origine, il faut trois ingrédients ; une dose suffisante de culture (et de rencontres) pluridisciplinaire, une connaissance de la pratique des AAA et avoir une « vision globale». Le meilleur moyen est de sortir du « système ». Les sociologues aiment à le dire « lorsque le système est bloqué, il faut en sortir ». C’est ce qui m’a aidé à faire ces deux textes.

Le premier est celui de Paul Schulz, psychiatre à Genève qui vient de publier « Consolation par le chien » aux éditions PUF . A travers des références scientifiques et littéraires l’auteur interroge ce que sont et ce que peuvent devenir homme et chien. L’auteur définit la « caninisation » de l’homme, « l’envahissement du monde humain par des éléments canins, ou de connotation canine ». Le positionnement est ouvert explorant inconvénients et avantages de la cohabitation de nos contemporains citadins et leurs animaux domestiques. Ce qui m’a aidé à sortir de mon cadre habituel de références, c’est l’exploration spatio-temporelle. Spatiale car on sort du monde des AAA, pour porter un regard original sur la relation homme-chien. Et temporelle, car au-delà de ce que l’on entend ou lit habituellement, grâce aux dosages références scientifiques / citations littéraires – Franck Zappa et scénarios de science fiction compris – le texte stimule l’imaginaire. C’est aérien ; les citations et bons mots me semblent être au livre ce que sont les blancs d’œufs battus en neige à la mousse au chocolat. Le texte agit aussi probablement par l’alternance d’activation de représentations focales (donnée scientifique) et de représentations globales liées aux citations d’auteurs. Cette rythmicité d’activation cérébrale gauche /droite ne saurait me laisser indifférent !

 

 

Le deuxième est celui de Didier Raoult qui est une démolition radicale de la théorie Darwinienne (Didier Raoult « Dépasser Darwin : L’évolution comme vous ne l’avez jamais imaginée ». Ed Plon – 2010), contrastant avec le ton pseudo-religieux (en partie lié à une réaction au courant créationniste) des commémorations du 150em anniversaire de la publication de « l’origine des espèces ». L’auteur, lauréat du grand prix INSERM 2010, est infectiologue, professeur de microbiologie à Marseille et directeur d’une importante unité de recherche en microbiologie. En particulier, il est le découvreur d’un géant, le mimivirus. Sans par ailleurs forcément être en phase avec tout ce qui est écrit, ce qui m’a aidé dans ce texte, c’est que le cadre n’est pas dépassé, il est explosé ! En effet l’auteur explique que les avancés scientifiques, en particulier celles de la génomique remettent en cause régulièrement le corpus de connaissances. Ça bouge tout le temps et à peine a t-on intégré une donnée qu’une nouvelle conduit à reconsidérer les acquis. Depuis plusieurs années, je suis les données concernant l’écosystème bactérien humain, professionnellement en raison de mon intérêt pour la place de l’alimentation dans la sclérose en plaques, et pour les AAA, car les préoccupations d’hygiène sont au cœur des résistances en milieu hospitalier. Je me savais mosaïque. Que mon génome est une chimère énigmatique incluant pas mal de séquences rétrovirales et que la flore bactérienne intestinale constitutive de mon identité, est un univers pratiquement inconnu. Mais je sous-estimais la richesse plurielle de ma mosaïque génétique et les recombinaisons génétiques horizontales entre organismes et surtout le poids des virus (pour une cellule de notre organisme, nous cohabitons avec 100 bactéries et 1000 virus qui peuvent échanger du matériel génétique en permanence, voire en inclure dans notre génome). Ça donne le vertige et parallèlement aux critiques de la théorie darwinienne, l’une des conclusions de l’auteur concernant la vie du monde scientifique a particulièrement retenu mon attention : l’heure n’est pas à théoriser mais à explorer (90% des bactéries connues ont été identifiées depuis moins de 10 ans). Didier Raoult prend une métaphore historique et compare l’actualité de la recherche scientifique en biologie à l’époque des grandes découvertes. Il est un temps pour explorer, recenser, baliser . . . . puis viens l’heure des cartographes. A l’instar des cartographes du début du XVIième, incapables de fixer avec précision des côtes et des continents, il est impossible en biologie de fixer un cadre théorique stable. Car cela reviendrait à le refondre en permanence, il faut donc expérimenter, accumuler les faits, les classer, les mettre en cohérences, . . . puis le temps des théoriciens viendra. Cela rejoint Damasio qui à propos de la conscience, il réfute en l’état actuel des connaissances la possibilité de définir une théorie satisfaisante, mais propose un cadre de réflexion évolutif incluant plusieurs hypothèses (Antonio Damasio « L’autre moi-même ; les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions ». Ed Odile Jacob – 2010). N’en est-il pas de même pour les AAA ?

 

 

Dorénavant, lorsque l’on me fera grief de mon manque de références scientifiques et théoriques, je ne jouerai plus les cartographes, décomplexé, j’assumerai mon statut d’explorateur des AAA et me rappellerai la maxime suivante : « rien de sert de théoriser trop tôt, il faut caniniser à point ».

Pour en savoir plus

Didier Raoult, « Dépasser Darwin : L’évolution comme vous ne l’avez jamais imaginée », Editions Plon, 2010, 164 p., 18,90 euros

Paul Schulz, « Consolation par le chien », Editions PUF, 2010, 176 p., 13 euros

Antonio Damasio, « L’autre moi-même ; les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions », Editions Odile Jacob, 2010, 415 p., 24,90 euros

Dr Didier VERNAY

2 Responses to “Décomplexez, caninisez !”

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    A.Jégard
    février 10th, 2011 at 14:58

    Monsieur Vernay,
    je poste ce message dans ce billet puisque je m’intéresse très fortement à la médiation animale, dans le cadre d’un mémoire de fin d’études d’ergothérapie. Ce n’est doute pas l’endroit très approprié, cependant je n’ai pas trouvé d’autres moyens de vous contacter (autre que votre adresse professionnelle). J’aimerais beaucoup échanger avec vous sur mon sujet d’étude de l’utilisation thérapeutique du chien d’accompagnement social auprès d’enfants atteints de cécité précoce. En effet, par votre implication dans des groupes de recherche dans la médiation animale depuis de nombreuses années, et praticien, vos réflexions seraient très riches d’enseignement pour moi, si vous l’acceptez.
    Bonne journée à vous et à bientôt j’espère.

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    vernay didier
    mars 27th, 2011 at 17:31

    Bonjour
    vous pouvez me contacter directement via le mail licophe@gmail.com
    Je vous précise que mon expérience clinique vis à vis de la cécité précoce, n’est pas de « première main » mais je veux bien échanger avec vous et vous orienter vers d’autres interlocuteurs plus avertis.
    Bien à vous
    Didier Verenay

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