Jean-Claude Barrey juin - 26 - 2014
avatar

 

Introduction

Tout être vivant exploite un biotope qui lui apporte ce dont il a besoin pour vivre, se développer, se reproduire, en fonction des caractères biologiques liés à sa Famille, son Genre, son Espèce et son individualité. Cet ensemble constitue le « monde propre » à chacun (Umwelt: J.V.Uexküll, Mondes animaux et monde humain, Ed.Gonthier, 1956) dans lequel il optimise le rapport entre ses capacités sensorimotrices et ses besoins biologiques.
Si cet équilibre est rompu, pour quelque raison que ce soit, trois solutions s’offrent à lui: il recherche un autre biotope plus approprié (migration), il reste là, mais avec un coût physiologique plus ou moins important (pathologie adaptative), enfin, si aucune des deux solutions précédentes n’est applicable, il disparaît à plus ou moins longue échéance (pathologie destructive).

Dans le cas où l’inadaptation survient non pas à la suite d’une modification géographique du milieu (inondation, accident climatique…) qui peut être évitée ou fuie,
mais par une atteinte directe de la matière vivante (blessure, capture,…), n’entraînant pas directement la destruction, mais empêchant la fuite, il ne reste que la lutte et ses risques directs, ou la soumission avec les pathologies de l’inhibition de l’action (H.Laborit,La légende des comportements, ed.Flammarion, 1994).

L’animal « épi-génétiquement modifié » domesticable

J.C.Barrey, Le sauvage et le Domestique, ou qui domestique qui. Conférence. Aquarium de Vannes, 2012.

On parle généralement d’animaux sauvages et d’animaux domestiques, comme si il allait de soi qu’il faille nécessairement être l’un ou l’autre. Mais domestiquer n’est pas un pouvoir absolu: on ne domestique pas n’importe quel animal parce qu’il nous en vient le caprice ou l’utilité. Il faut d’abord que cet animal soit, en quelque sorte, consentant, c’est-à-dire qu’il soit biologiquement domesticable. Sinon, on pourra peut-être l’apprivoiser pendant sa période de jeunesse, et non le
domestiquer, mais il restera inéluctablement « sauvage », lui et sa descendance…

Il faut dès lors se poser la question : Qu’est-ce qu’un animal sauvage? Qu’est-ce qui différencie le Lynx, à juste titre réputé sauvage, du chat domestique, son cousin
félin? Il faut absolument abandonner cette vieille idée qu’il suffit à l’homme de s’emparer d’animaux dont il a l’utilité pour pouvoir, d’un coup de baguette magique, le domestiquer.

Ce qui caractérise l’animal sauvage :
– Il est plutôt sténophyle (inféodé à un type de milieu déterminé).
– Il actualise ses schèmes comportementaux potentiels (le « savoir-faire » de l’espèce) durant sa période juvénile, exactement comme il acquiert progressivement
sa morphologie d’adulte. Pendant cette période son écologie comportementale reste plastique, dans la limite de l’enveloppe génétique de son espèce.
– Cette plasticité disparaît presque totalement au stade adulte : les « choix » adoptés en fonction des conditions environnementales se fixent définitivement. Son
écologie comportementale est stabilisée.
– Il est autonome (mais les domesticables peuvent l’être aussi !) mais il n’est pas libre pour autant : ses schèmes comportementaux sont étroitement encadrés par son
potentiel génétique.

Du sauvage au domesticable
Les recherches du généticien Edward Lewis ( E.Lewis, synthèse des travaux, « Nature », 1978) ont permis de démontrer que le développement des embryons de toutes les espèces, depuis la drosophile jusqu’à l’homme est contrôlé par un petit nombre de gènes, dix chez la mouche, quarante chez les mammifères. Ces gènes ont conservé une telle similitude au cours de l’évolution qu’on les a baptisés « homéogènes ». Ces homéogènes, ou gènes maîtres, commandent l’expression ou la répression des autres gènes de chaque cellule dans leur travail de fabrication de protéines, à un endroit déterminé de l’embryon, et à un moment précis du développement.
Cette machinerie très précise et en même temps très souple peut générer la diversité du vivant que nous connaissons. Il suffit qu’un radical méthyl ou acétyl se fixe sur une molécule d’histone, sur laquelle est bobinée le filament de chromatine, pour qu’un gène s’exprime ou soit réprimé. Mais cette souplesse est aussi génératrice de fragilité, et des variations accidentelles peuvent survenir en réponse à des accidents survenant dans l’environnement cellulaire, lui même tributaire de l’environnement de l’organisme.

L’épigénétique…
Ces modifications accidentelles du développement ou, par la suite, du fonctionnement de l’organisme, sont qualifiées d’ EPI-GENETIQUES, car elles ne modifient pas les gènes eux-mêmes. Ce ne sont pas des « mutations ». Elles changent seulement l’expression ou la répression de certains gènes à un certain moment.
Les modifications épigénétiques qui interviennent chez l’animal sauvage peuvent le rendre domesticable, c’est-à-dire lui conserver certains caractères juvéniles
(néoténie) mais jamais le rendre globalement « néoténique ».
Ces modifications agissent essentiellement par des changements dans les réglages des signaux qui commandent l’expression de certains gènes.
Elles peuvent entraîner des modifications morphologisques, physiologiques et comportementales mineures ou mêmes importantes (taille, forme), toujours limitées à
des zones ayant une unité génétique. Les Animaux Epi-Génétiquement Modifiés (par analogie, nous proposons de les appeler des «A.E.G.M », sans inférer sur l’origine de ces modifications…) sont des sortes de chimères, juxtaposant stabilité, avance ou retard dans les horloges de fonctionnement des gènes, et donc dans le développement des différentes parties du corps, indépendamment les unes des autres.

Les loups du Gévaudan (9)

Les phases du développement

Le développement NORMAL d’un individu dans une espèce souche de mammifères se déroule en quatre phases marquées par deux évènements importants, la naissance et la maturité sexuelle [A: embryonnaire, B: foetale, -naissance- C:lactéale (dentition de lait), D: substitution – adulte- (dentition définitive)].

A partir de cette « normalité », et sans que le génome soit modifié, il peut se produire des hétérochronies, c’est-à-dire « accidents » dans la chronologie de l’expression ou de la répression de l’activité des gènes fabriquant les protéines utilisées pour le développement de l’embryon. Ces accidents, que l‘on nomme
« épigénétiques » (au-delà des gènes) ont été fort bien illustrés par Jean Chaline, de l’Université de Dijon, dans son livre « Les horloges du vivant ».

La vitesse de développement peut être altérée, en plus ou en moins. Dans le premier cas nous aurons un stade supplémentaire hyper-adulte, une « péramorphose ». Dans le second cas, nous aurons un arrêt à des stades plus ou moins jeunes de la morphologie de l’ancêtre normal, une « paedomorphose ».
De même la durée peut être allongée entraînant « l’hypermorphose », ou raccourcie entraînant « l’hypomorphose ».
Enfin, le début du développement d’une zone peut être retardé, et nous aurons un « post-déplacement », ou avancé et nous aurons un « pré-déplacement ».

Mais insistons sur le fait qu’une paedomorphose, comme la néoténie, n’est en aucun cas globale, à tel point qu’elle peut- être associée localement à des péramorphoses dans des parties du corps tout à fait voisines mais répondant à une autre combinaison d’expression de gènes (pleïotropie différente).

Les causes possibles d’épi-mutations.

Le basculement épigénétique de l’expression d’un gène à sa répression, ou réciproquement, peut être provoquée par des conditions environnementales difficiles (chaud, froid, sécheresse, éclairement,…), par des concentrations ioniques anormales dans le milieu aquatique, aérien, dans l’alimentation (%O2, anti-oxydants,…), par un stress local ponctuel ou durable (irradiation…), des attaques par des pathogènes (bactéries, virus, …), une perturbation de la nutrition (sous-nutrition, carences, toxicité, aliments maternels, …), des éléments culturels ou des traditions sociales modifiant le milieu des individus (déchets, OGM, …), des toxines ou signaux chimiques mis dans le milieu par d’autres organismes, etc, etc…

Les paedomorphoses
Il s’agit d’une persistance des caractères juvéniles en raison d’une hétérochronie dans l’activité des homéogènes. Cela peut concerner des caractères morphologiques : poils ras ou peau glabre, robes claires ou tachetées, face foetalisée, oreilles tombantes, raccourcissement des membres, tendance à l’embonpoint, baisse du tonus musculaire, relâchement des tissus conjonctifs, variabilité des caractères spécifiques. Cela peut aussi concerner des caractères comportementaux qui peuvent être amplifiés (comportements alimentaires, comportements reproducteurs) ou, au contraire minimisés (instincts sociaux, soins à la progéniture, inhibitions sociales, agressivité, besoins locomoteurs).

On constate aussi une perte de sélectivité des mécanismes innés de déclenchement (M.I.D.), une fragmentation des coordinations motrices innées normalement solidaires (par exemple détachement d’un fragment d’une « allure » locomotrice, comme la brachiation des primates qui peut être fractionnée en petits gestes précis
réutilisables dans l’artisanat). Globalement, les programmes moteurs peuvent être « reconditionnés » par des informations nouvelles venues de l’extérieur, alors que, chez les animaux sauvages, ces programmes se ferment aux nouvelles informations, ce qui rend impossible de nouveaux apprentissages, à partir de l’âge adulte. Grâce à la persistance de l’ouverture des programmes, les néoténiques conservent toute leur vie une capacité de curiosité et d’apprentissage par l’expérience, ce qui leur donne une grande plasticité d’adaptation du comportement.
Ils conservent ainsi un caractère juvénile qui permettra le passage du caractère épigénétique « domesticable » (indépendant de l’homme), à l’état « domestiqué » (dû l’homme) qui peut en dériver: en effet, les individus néoténiques acceptent volontiers de rester dépendants et en particulier de « se faire nourrir », comme c’était le cas avec leur mère ou dans leur groupe familial lorsqu’ils était dans l’enfance.

 A SUIVRE…

Jean-Claude BARREY

 

Leave a Reply

Recevez les articles par mail

A propos

La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

Sandie

Recherchez sur le blog

A découvrir

Bibliographie

Définition Médiation Animale