Jean-Claude Barrey février - 3 - 2012
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Ou pourquoi le cheval et l’homme ne sont pas faits pour œuvrer ensemble?

 

Pour notre plus grand plaisir, voici un nouvel article de Jean-Claude BARREY… J’en profite pour vous rappeler que dans le cadre du Cycle de conférences du Diplôme Universitaire Relation d’Aide par la Médiation Animale (DU RAMA), Jean-Claude  interviendra à 20h le lundi 20 février prochain à Clermont-Ferrand (Université de Médecine Amphi 3C) sur le thème « Animaux sauvages et animaux domestiques ».

Pour ceux qui n’auront pas la chance de l’entendre: procurez-vous vite son ouvrage, un incontournable: « Éthologie et écologie équines ».

En attendant… je vous laisse lire ce nouveau billet. Sandie.

Moi, cheval, chaque jour, je dois / il me faut :

Je suis nomade dans un espace ouvert et herbeux, sans clôtures, d’un minimum de 300 hectares, faute de quoi commencent à apparaître des troubles sociaux, car mon groupe familial en rencontre trop souvent d’autres…

Dans cet espace, manger en marchant pendant 12 à 15 heures, ce qui évacue mes 10.000 coups de mâchoires quotidiens et fait fonctionner ma pompe d’assistance circulatoire située sous mes pieds.

Mon groupe familial comprend généralement trois juments avec leurs poulains, un étalon et les poulains de la portée précédente jusqu’à leur départ, vers 18 mois pour les mâles et 30 mois pour les femelles. (exogamie)

Rester proche de mon groupe familial de huit ou dix congénères et toujours savoir où se trouve chacun car je vis socialement dans un système en réseau (sans chef, c’est-à dire que chacun est autonome et égocentré… mais où chacun surveille tous les autres), ce qui assure ma sécurité.

 

© Photo Association Résilienfance


Je surveille mon environnement proche et à longue distance grâce à ma vision panoramique précise (pas de macula, donc absence de centration), et je n’ai pas besoin d’accommoder grâce à ma courbure progressive, type « verres progressifs ».

Ce sont mes émotions présentes et la mémoire de mes émotions passées qui pilotent mes décisions comportementales, car je n’ai pas de couches associatives développées dans mon néocortex, donc pas de « réflexion ». Je ne comprends pas, je ressens : mon « intelligence » est de type sensori-moteur.

J’ai acquis une certaine plasticité comportementale grâce à des modifications épigénétiques relativement récentes (en particulier la persistance de certains caractères juvéniles) qui ont permis ma domestication par l’homme.

Faute de programme de portage, et le programme antiprédateur  étant neutralisé par le débourrage, un humain partenaire social « cheval honoraire » qui monte sur mon dos perd son identité et devient un bouquet de sensations éclatées car je suis frappé d’incapacité synthétique (au sens piagetien).

Ce qui ne me convient pas…

Toute inhibition des mécanismes ci-dessus provoque chez moi des pathologies (baisse des défenses immunitaires, troubles digestifs, sensibilité aux parasites, stéréotypies, maladies de peau, etc.)

Je ne suis pas construit pour faire des repas (petit volume de l’estomac, avec salive, 40 l/j et suc gastrique, 20 l/j) (absence de vésicule biliaire), mais pour manger en continu (Déversement de la bile-6 l/j- par le cholédoque et des sucs pancréatiques-7 l/j- par le canal de Wirsung en goutte à goutte continu dans l’intestin grêle au niveau de l’ampoule de Vater).

Je ne suis pas fait pour manger à l’arrêt, mais en marchant : si j’y suis contraint, je gratte pour marcher sur place.

Je ne supporte pas non plus de rester arrêté (engorgement des membres dont les veines n’ont pas de valves anti-retour), et encore moins couché (œdème pulmonaire), longtemps.

Je ne possède pas de programme de portage : je ne supporte rien sur mon dos : cela déclenche mes réactions antiprédateur (d’où la nécessité du débourrage qui « éteint » ce programme de réactions).

Alors que Moi, humain, ancien primate arboricole :

Ma locomotion était faite pour optimiser les déplacements de branche en branche : mon centre de gravité suit une trajectoire simple. Comme ma progression est faite de balancements, je stabilise mon centre de gravité grâce à des mouvements de compensations (nuisibles en équitation car ils nous donnent l’impression d’agir alors que le cheval ne perçoit aucun déplacement de poids, mais seulement de l’agitation!).

Je continue à privilégier mon habileté manuelle liée à la brachiation, alors que les aides, en équitation, doivent être utilisées dans l’ordre : Assiette – jambes – et mains en dernier (équitation  d’arrière en avant). J’ai tendance à utiliser mes mains en premier, ce qui creuse le dos et empêche les postérieurs de s’engager.

J’utilise mes mains de deux manières : en pronation (powergrip, paumes en dessous) pour assurer ma sécurité, et en supination (paumes vers le haut) pour les prises précises et légères (precision grip). La pronation est impropre à l’équitation car elle est une prise en force qui ne fait que refléter le niveau de stress du cavalier.

 

 

L’hominisation m’a permis de conserver certains caractères juvéniles, tels que l’adaptation à des environnements variés, la possibilité de contacts avec d’autres espèces (éventuellement de les domestiquer, pour celles qui sont domesticables), l’habitude juvénile de se faire porter, alors que le cheval ne possède pas de programme de portage !

Le développement des couches associatives du cerveau me permet de « réfléchir » en interne, de manipuler mes informations, de faire des simulations et des projections dans le temps. En bref, je dispose d’un « bureau d’étude », alors que le cheval reste un « sensori-moteur égocentré ».

Je suis plutôt sédentaire, et j’aime bien avoir un abri au dessus de moi, alors que le cheval est un nomade et préfère les milieux ouverts qui conviennent à ses perceptions sensorielles.

 

Le paysage paraît bien sombre… mais remarquons toutefois que si nous n’avions pas domestiqué le cheval, l’espèce aurait actuellement disparue ! D’autre part, grâce aux transformations néoténiques épigénétiques intervenues dans les deux espèces, la nôtre et celle du cheval, nous avons conservé le caractère juvénile qui permet à des « petits » d’espèces différentes de communiquer entre eux, de « jouer ensemble » à des jeux qui ne sont pas toujours compris de part et d’autre. Mais, malgré cet adoucissement des difficultés relationnelles, il est nécessaire de prendre en compte dans la relation homme/cheval la satisfaction des besoins physiologiques des deux espèces qui ne peuvent pas être modifiés.

Jean-Claude BARREY

Pour en savoir plus:

Les billets de Jean-Claude sur le blog

Cohabitation et relations homme-cheval # 1: Rappel sur les bases du comportement du cheval

Cohabitation et relations homme-cheval # 2: L’environnement imposé au cheval

Cohabitation et relations homme-cheval # 3: Relation Homme/Cheval

Ethologie: méfiez-vous des contrefaçons…

Votre cheval est-il heureux?

– Les chevaux et leurs cousins: les ânes

Le livre

Jean-Claude BARREY et Christine LAZIER, « Ethologie et écologie équines – Étude des relations des chevaux entre eux, avec leur milieu et avec l’homme », Editions Vigot, 2010, 208 p., 35 euros

 

One Response to “Le cheval et l’homme: une rencontre improbable!”

    avatar
    MARCUS Jean-Claude
    février 22nd, 2012 at 19:23

    Plutôt en accord sur tout, y compris l’aspect historique (plus exactement pré historique) qui diversifie parmi les animaux hétérotrophes les chevaux, herbivores des steppes, et les animaux-hommes, omnivores frugivores arboricoles adaptés à la savane …
    Juste un point de différence (ajout et non divergence) issu de mon expérience de l’éducation à la voix d’un cheval de travail polyvalent : il conserve la congruence entre la locution et son champ perceptif global une fois monté (locuteur peu visible mais très audible).
    Pour moi la voix prime et les aides sont des sécurités, y compris en débardage monté ou en attelage. Cette commodité facilite la surveillance à distance des rencontres entre un animal-homme et cette personne-cheval.
    En art de la chevalerie (signature vocale = antivol) comme en travaux agricoles (voix = membres libres) l’histoire de la domestication des chevaux me semble plus liée à la voix qu’aux postures, à tout le moins qu’aux conventions posturales issues de l’industrialisation du cheval (et du cavalier) par Napoléon.
    Bien amicalement,
    Jean-Claude Marcus 06 81 41 67 98

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