Rédacteur invité novembre - 18 - 2009
avatar

On accueille, aujourd’hui, nos premiers rédacteurs invités. Souvenez-vous en avril dernier, je vous avais mentionné une conférence-débat à Tarbes: « L’animal et l’enfant: Naître et grandir ensemble- La communication posturale entre l’enfant et le chien – Le risque zéro existe t-il? ».

Cette conférence était organisée par la Mairie de Tarbes et le Club Canin Tarbais, et animée par quatre vétérinaires comportementalistes: le Dr Béatrice LAFFITE – Le Dr Dominique LACHAPELE – le Dr Nicolas MASSAL – le Dr Laurent ORDUNA, le Dr Christian FIALAIRE membres de l’association Zoopsy. Ces derniers ont gentiment accepté de nous communiquer le texte de leur intervention. Nous le publierons en plusieurs chapitres! Comme l’ensemble du contenu de ce blog, je me permets de vous rappeler que « toute reprise totale ou partielle du texte doit faire l’objet d’une autorisation expresse des auteurs »

Bonne lecture et n’oubliez pas de revenir pour connaître la suite!

Chapitre 1: Naître et grandir ensemble

Lors de la conférence de l’an dernier sur « l’animal dans la ville », nous vous avions dit beaucoup de mal des lois sur les chiens dangereux au cours de la discussion. Pour compenser, nous allons aujourd’hui vous en dire – un peu – de bien : dans la loi de 1999 sur les chiens dangereux a été glissé un paragraphe interdisant la cession de chiots avant 8 semaines d’âge. C’est bien ! C’est insuffisant mais c’est un début. Un chiot, comme tout animal social, a besoin de sa mère pour démarrer son éducation (ou d’un chien éducateur de substitution mais pourquoi compliquer les choses sans nécessité) et pas seulement comme biberon ambulant. Quant à la fratrie, c’est aussi un élément éducatif important.

Ces dernières décennies, le rôle de l’éleveur canin a évolué. L’éleveur de chien, qu’il soit amateur ou professionnel, n’est pas un éleveur de porcs ou de poulets en batterie : on lui demande non seulement de faire naître et d’engraisser en bonne santé ses petits pensionnaires mais en plus de les livrer avec des bases éducatives solides, quel boulot ! Fuyez donc toute proposition de vous céder un chiot avant 2 mois, quelles qu’en soient les justifications : c’est un boulot éducatif de titan que de remplacer la mère et les approximations se payent souvent chèrement sur le comportement du chien adulte.

Quelles sont les étapes du développement social du chien ?

Il est intéressant de les aborder brièvement car votre chien les a sans doute connues, au moins en partie, et on peut penser qu’il basera ses repères sur ces connaissances spécifiques. Après une période de 3 semaines où il est entièrement materné, le développement de ses organes des sens lui permet d’acquérir les aptitudes nécessaires à la vie en société, au moins avec ses frères et sœurs et avec sa mère. On nomme cette période des apprentissages sociaux la « socialisation ». Elle est indispensable pour savoir communiquer (émettre et lire des messages) et contrôler ses mouvements (inhibition de la morsure, maîtrise des gestes, postures d’apaisement, de soumission, de domination). Serrer plus ou moins les dents, exécuter des mouvements en réponse à d’autres, bref nuancer ses messages autorise une communication complexe, indispensable à une relation harmonieuse ; on ne peut pas jouer en blessant l’autre, ni résoudre tous les conflits quotidiens par des combats sanglants. C’est grâce à ces acquis que le chien peut vivre en société… canine. Il apprend également pendant cette période à connaître les espèces « amies » qui l’entourent, et plus les individus rencontrés alors auront de caractéristiques variées, plus son savoir sera étendu.

zoopsy

S’il continue son développement dans un groupe de chiens, il sera sous le contrôle de sa mère jusqu’à la puberté pour un mâle, jusqu’à ses deuxièmes chaleurs pour une femelle. Le jeune « adolescent » sera alors écarté du groupe des adultes, passera une période en périphérie du groupe. S’il sait communiquer (en langage canin), il pourra éventuellement y être réintégré, sera accepté par ses pairs, et pourra trouver sa place (cf. chapitre 2 sur la puberté). En effet, les groupes canins sont très structurés, et les nombreux rituels de communication qui régissent les contacts et les priorités doivent être connus pour être admis. Ce sont ces rituels communs qui assurent la cohésion et la stabilité du groupe, c’est grâce à eux que chacun se sent bien à sa place. Il est important de savoir que ces groupes sont très hiérarchisés, chacun ayant selon son rang des missions et des prérogatives ; par exemple, la reproduction n’est autorisée qu’aux membres les plus haut-placés, ou tout au moins sous le contrôle de ceux-ci. Le groupe entier étant solidaire par rapport à ses membres, on trouve des caractéristiques sociales aussi spectaculaires que le maternage de portée par des femelles n’ayant pas mis bas (elles sont de véritables nourrices à l’ancienne, ou des nounous selon nos habitudes actuelles, cela persiste au travers des montées de lait de nos chiennes), et tous les adultes sont des éducateurs autorisés pour les jeunes. Il sera donc très intéressant de mettre votre chiot de 2 mois en contact régulier avec des chiens adultes pour entretenir ces acquis.

Pourquoi une si longue description ? Parce que c’est sans doute par rapport à cette organisation que votre chien estime celle du groupe où il vit : votre famille ! Notre structure sociale est bien plus complexe, et l’enfant mettra bien plus longtemps à parcourir un chemin assez équivalent dans ses grandes lignes (nourrisson, jeune très dépendant, enfant, adolescent, jeune adulte)… Votre chien connaît aussi des éléments de la communication humaine, car il vous observe et essaie de vous comprendre, mais il les interprète au travers de ses propres filtres (il ne perçoit, traduit et apprend que par rapport à ce qu’il connaît), et nous ne sommes malheureusement pas capable de déterminer avec précision ce qu’il « comprend ». Retenons au moins que la structure hiérarchique et les rituels sont des bases incontournables de son mode de vie, et que les espèces cohabitant avec le jeune en développement sont identifiées comme des partenaires, et non des proies ou des prédateurs.

Quelles sont les étapes du développement de l’enfant perçues par le chien ?

Avant de les envisager chronologiquement, il est utile de préciser que, pour des raisons d’analogie structurale de nos émissions hormonales et phéromonales (substances émises involontairement et indiquant l’état émotionnel et physiologique des individus), le chien est capable de percevoir des différences de sexe mais aussi des états émotionnels variés chez ses propriétaires.

Pendant la grossesse, et dès son début, l’état de la mère est connu du chien (c’est un détecteur plus performant que tous ceux disponibles dans les pharmacies !). Cette information peut expliquer des modifications comportementales parfois très précoces : attention nettement plus marquée, surveillance des visiteurs, demandes de contacts… Ces changements d’attitude du chien ne sont pas anodins, et peuvent déjà indiquer comment le chien se perçoit dans le groupe.

L’arrivée du bébé ne sera donc pas surprenante pour lui, il sera néanmoins important de repérer ses réactions pour déterminer si le nouvel arrivant présente des caractéristiques connues du chien, c’est-à-dire savoir si le chien « sait » ce qu’est un nourrisson, ou si les agissements du bébé déclenchent des réactions de peur ou de curiosité exagérées. Il en va de même lors des étapes du développement du bébé : premiers pas (avec le redressement du corps), utilisation de la main pour attraper, premiers mots et phrases, activités de jeu ou de sorties réalisées sans adultes… Plus tard, présence de camarades, ordres reçus de l’enfant, puberté de celui-ci…

Votre chien percevra ainsi des caractéristiques de l’enfant qui ne sont pas forcément celles que vous pensez. Il n’est jamais un intrus, mais toujours un membre du groupe. En tant que tel, le chien lui attribuera une position, et c’est par rapport à ce rang dans le groupe qu’il lui accordera des droits ; l’appartenance au groupe entraînera également des élans de solidarité par rapport aux étrangers.

Comment avertir un animal de l’arrivée d’un enfant ?

La naissance d’un bébé

Nous venons de voir que lorsqu’une femme attend un enfant, elle émet des phéromones que nous percevons sans nous en rendre compte. Ces phéromones sont perçues par les chiens et il est certain qu’un chien est souvent au courant de la grossesse, avant même que les tests ne soient pratiqués !

Cela dit, la grossesse entraîne souvent des modifications dans la vie de l’animal avant même l’arrivée du bébé. La future maman reste à la maison, les promenades sont plus rares mais les câlins plus fréquents. Ces premiers changements peuvent dérouter l’animal. Les propriétaires doivent tout de suite penser à ne pas trop changer les habitudes, sans toutefois culpabiliser : le chien était le premier «enfant» du couple et bénéficiait de toute leur attention ? Être naturel, ne pas en faire trop pour se faire «pardonner» – tout en (re)donnant au chien une place claire au sein du foyer – est encore la meilleure attitude à avoir !

Et si les enfants sont plus grands ?

Des enfants plus grands peuvent arriver dans un foyer où vivent des chiens et des chats, lors d’adoption ou dans le cas d’une famille « recomposée ». Il s’agit tout d’abord de bien savoir si les animaux sont socialisés aux enfants. Il est aussi nécessaire de savoir quelle est l’attitude des enfants vis-à-vis des animaux : ont-ils déjà vécu à leur contact ? Des enfants habitués aux chiens peuvent manquer de prudence; des enfants qui ont peur des chiens peuvent mal communiquer avec eux. Un questionnement préalable des enfants est alors nécessaire. L’âge des enfants est également important car il va influer sur la communication. Les premiers contacts doivent être positifs, lors de jeux, de promenades avec l’animal.

surtout ne pas bouger

Et qu’en pensent les chiens ?

Les chiens peuvent-ils être jaloux des enfants ?

La jalousie est un sentiment purement humain qui est très complexe. Les chiens ou les chats ne peuvent éprouver de jalousie ; en revanche, ils peuvent éprouver de l’envie. Oui, un chien peut avoir envie de monter sur les genoux de la maman qui allaite son bébé, surtout quand il y était habitué ! Il suffit de le repousser doucement et de l’envoyer dans son panier. Il apprendra à attendre que sa maîtresse soit disponible. Les parents, tout en voyant d’un mauvais œil la «jalousie du chien», cherchent néanmoins à se faire pardonner et sont très ambigus dans leur relation avec leur animal, ce qui est très déroutant pour lui.

Y’a-t-il des races de chiens gentilles avec les enfants ?

Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de races plus gentilles que d’autres avec les enfants. Une socialisation précoce aux enfants (élevage en famille), des contacts fréquents avec eux avant l’arrivée d’un bébé au foyer, un cadre hiérarchique clair donné par les adultes sont des facteurs favorisant une bonne acceptation de l’enfant, quelle que soit la race du chien. Il est incontestable cependant que la taille et la puissance du chien jouent un rôle dans la dangerosité.

Les chiens peuvent-ils défendre les bébés ?

Le chien est un animal social ; lorsqu’il arrive, l’enfant – identifié grâce à ses odeurs – devient tout de suite un membre du groupe. Le chien peut alors défendre le bébé contre les étrangers, surtout s’il se sent investi de cette mission par les parents ou a un statut hiérarchique de « dominant » dans la famille.

Les étrangers au groupe doivent être prudents et ne pas s’approcher du berceau si le chien est menaçant : il n’hésitera pas à mordre si l’on s’approche. Les parents ne doivent pas favoriser ces comportements et envoyer le chien à sa place.

Conduite à tenir à l’arrivée d’un enfant

L’arrivée d’un enfant ne doit pas être une source de problèmes quand un chien est correctement intégré et socialisé. Certaines précautions sont cependant nécessaires :

Certains auteurs recommandent de rapporter à la maison le linge porté par le nourrisson. Si le chien présente des manifestations d’inquiétude, ne prêtez pas attention à celles-ci, de façon à obtenir une habituation. Si l’inquiétude persiste, la vigilance est de rigueur. Il est inutile de déballer les langes ou les couches – le chien n’en a pas besoin pour capter les odeurs – ni de présenter l’enfant au chien : ceci ne revêt aucune signification en langage canin, même si cela rassure certains parents.

Dans la mesure du possible, le rythme de vie du chien doit être globalement respecté, tel qu’il était avant l’arrivée de l’enfant. Il est parfois difficile de respecter cette règle, mais si les propriétaires sortent le chien régulièrement, lui consacrent un temps de qualité, même plus court (jeux, caresses, promenades avec le bébé), le chien s’adapte très vite à ces nouvelles règles de vie.

Culpabiliser, tenter de donner autant au chien qu’à l’enfant ne peut que le dérouter.

Pour l’arrivée de plus grands enfants, les précautions doivent tenir compte de l’âge. Un enfant ne doit jamais déranger un chien qui dort ou se repose dans son panier, ni toucher sa gamelle ou le caresser quand il mange.

Quand l’enfant grandit

Pour le chien, les humains sont une espèce amie, à laquelle il a été plus ou moins socialisé dans son jeune âge. La socialisation à une espèce autre que la sienne n’inclut pas forcément tous les stades de développement de l’espèce amie. Par exemple, un chien socialisé aux hommes adultes ne reconnaît pas forcément un bébé comme un petit d’homme. Il faudra donc veiller à socialiser les chiens destinés à vivre dans une famille humaine où grandissent des enfants à tous les stades de l’enfance : nourrisson, stade 4 pattes, apprentissage de la marche, de la parole, enfance, adolescence… Nous voyons ici la lourde tâche des éleveurs de chiens et il est très rare que les chiens aient pu être en contact avec tous les stades. C’est au chef de famille de faire comprendre au chien que l’enfant reste un petit humain et qu’il mérite d’être respecté en tant que tel (cf. chapitres 3 et 4). Dans le même temps, il faut éduquer l’enfant afin qu’il respecte le chien dans son intégrité physique et dans son mode de communication : pas de sévices corporels (tirer la queue, les oreilles, …), respect du couchage du chien, de sa gamelle, …

Quelques idées reçues…

« Il ne faut rien changer ! Il faut changer les choses bien avant ! Il faut écarter le chien ! »

Préparer calmement le contexte familial, réfléchir et organiser à l’avance les modalités futures de l’existence du chien, une bonne stratégie personnalisée vaut mieux que toutes les croyances, aussi ancestrales soient-elles. Mettre le chien à l’écart supposerait d’être certain qu’il y reste à tout moment, c’est rarement possible, et rarement souhaité !

« Il faut présenter l’enfant au chien ! Il faut présenter le chien à l’enfant ! Il faut expliquer au chien ! »

Le chien sait depuis longtemps que l’enfant va arriver, respectez ses modalités de reconnaissance, en particulier le léchage et l’odorat, ainsi le chien identifie le nouvel arrivant comme appartenant au groupe. Ne provoquez pas des contacts forcés, ne les évitez pas non plus, votre chien perçoit vos émotions mais ne les comprend pas toujours bien, évitez donc de construire des contextes difficiles, mêlez l’enfant aux activités quotidiennes.

« Il faut surveiller le chien ! Il faut les laisser se débrouiller seuls ! »

Ne laissez jamais un très jeune enfant seul avec un chien, quelle que soit la confiance que vous avez en lui. Rien ne pourra garantir les réactions, et les remords seraient intolérables en cas d’accident, même si le chien « ne lui voulait pas de mal ».

« Les chiennes sont plus douces ! Certaines races sont plus adaptées aux enfants ! »

Non, et non. Seuls le contexte et la hiérarchie du groupe influent sur le comportement du chien. Aucun chien ne justifie une confiance aveugle. Le risque zéro n’existe pas.

« L’enfant doit pouvoir s’approcher de la gamelle du chien ! »

Si le chien mange seul et sur un temps limité, cela ne peut arriver… Mais même le dernier individu d’un groupe social canin peut défendre sa nourriture, ce n’est donc pas un bon critère de position hiérarchique.

Conclusion

Répétons-le : jamais de confiance absolue ; soyez attentifs et vigilants.

Un bon respect de l’animal dans sa perception est une garantie de bien-être pour lui, cela passe par la connaissance de la communication et de l’organisation sociale propre à l’espèce. C’est sur ces bases que l’on peut définir des objectifs clairs, et ainsi préparer dans la sérénité la future organisation du groupe élargi.

A suivre le chapitre 2: Mûrir ensemble : passage à l’âge adulte…

Dr Béatrice LAFFITE, Dr Dominique LACHAPELE, Dr Nicolas MASSAL , Dr Laurent ORDUNA, Dr Christian FIALAIRE

Leave a Reply

Recevez les articles par mail

A propos

La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

Sandie

Recherchez sur le blog

A découvrir

Bibliographie

Définition Médiation Animale