Sandie Bélair avril - 29 - 2014
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Une question se pose et s’impose régulièrement dans les différents échanges, débats, rencontres… entre praticiens et acteurs de la Médiation Animale: le bien-être animal et ainsi plus largement l’éthique animale. (Pour rappel, ces deux notions sont différentes. L’éthique animale est l’étude de la responsabilité morale des hommes à l’égard des animaux pris individuellement. Le bien-être animal est, quant à lui, un état de santé mentale et physique qui témoigne que l’individu est en harmonie avec son environnement. C’est un concept certes très subjectif (fonction de l’espèce, de l’ individu) et il est difficile de l’évaluer mais les avancées de la science sont intéressantes et proposent des possibles à ne pas négliger).

Cependant, à ce sujet, pas plus tard qu’il y a quelques jours lors du (brillant) colloque de l’IFEq, alors que certains auditeurs s’inquiètent, à juste titre, du mal-être des équidés impliqués dans des activités de médiation équine, j’entends que l’on oppose encore bien-être animal et bien-être humain, que l’on parle d’anthropomorphisme, de projections, que l’on parle d’animal « outil »…

L’un des intervenants du colloque, qui semble pourtant sensible au bien-être de l’animal, prend d’ailleurs un exemple extrême pour évoquer son positionnement (l’idée n’est pas de juger mais d’ouvrir le débat et cet exemple a le mérite de le faire). Ainsi, il imagine que s’il partait en randonnée avec des jeunes et que l’un d’entre eux tombait en raison du comportement un peu exubérant d’un cheval, il n’hésiterait pas à secourir d’abord son patient et tant pis pour le cheval s’il se fait écraser sur l’autoroute toute proche… L’exemple est très extrême, je vous l’accorde, et traite ici d’une situation de crise… Il est évident que porter secours au jeune qui a chuté, rassurer le groupe et le mettre en sécurité doivent/devraient être les priorités. Mais doit-on pour autant ne pas se soucier de l’animal (et des conséquences de sa fuite) et en parler en ces termes dans un colloque de praticiens en médiation animale où l’animal et son bien-être sont au cœur d’une table ronde? Au-delà du bien-être, nous sommes ici dans le domaine plus large de l’éthique animale!

Ce que j’entends donc au cours de ce débat, ce sont des questionnements et un intérêt pour le bien-être animal mais aussi des résistances à considérer l’animal autrement que comme un « outil », un être que l’on oppose à l’humain.

La question n’est pas de choisir entre patient/humain ou animal… le bien-être de l’un ne s’oppose pas à celui de l’autre! J’irai même jusqu’à OSER dire, qu’en médiation animale, le fait de penser ainsi, de parler encore d’animal « outil » et de nommer « anthropomorphique » toute considération et réflexion sur le bien-être animal me paraît ancien et totalement dépassé. Devenir praticiens en médiation animale n’est certes pas totalement déconnecté de notre histoire personnelle, de notre rapport intime aux animaux et de nos projections et représentations à leur égard. L’affect y est certainement présent mais doit-on pour autant de ne pas investiguer la question du bien-être animal et ne pas s’interroger sur leur utilisation? Le mieux-être humain est conditionné à la présence animale, c’est un symbole fort. Interroger notre responsabilité à l’égard des animaux me paraît donc essentiel en médiation animale.

De nombreux acteurs de cette pratique, déjà sensibilisés, ont un recul suffisant et des connaissances éthologiques solides pour ne pas tomber dans l’anthropomorphisme. Ils sont capables d’avoir une représentation objective de l’animal et notamment de son bien-être et donc mal-être. Ils travaillent également souvent en équipe pluridisciplinaire avec des professionnels du monde animal tels que des éthologues, vétérinaires, comportementalistes… c’est d’ailleurs ce que nous préconisons car on ne peut posséder toutes les casquettes, au risque de tomber dans la « toute-puissance » et de ne pas LIRE les signaux. Une supervision sur tous les plans est donc nécessaire.

 

Bien être animal

 

La médiation animale, au sens large, concerne le domaine des interactions homme-animal. L’animal est un acteur à part entiére de la prise en charge, c’est un partenaire avec sa sensibilité, ses émotions, son « libre-arbitre », son intériorité, son « umwelt » (réalité subjective d’un individu conditionné en premier lieu par son équipement sensoriel mais aussi des facultés d’intégration de son cerveau et de ses activités motrices), il est sujet de ses expériences et c’est ce qui fait toute sa richesse. C’est un être singulier. Et la médiation animale s’inscrit bien dans des rencontres singulières entre un individu en souffrance et un animal pourvu d’un « être ».

Aujourd’hui, la science nous permet de savoir que chaque espèce a des caractéristiques propres, des besoins écologiques, physiologiques et éthologiques spécifiques et un mode de communication particulier. Ainsi quoi de plus normal de s’intéresser aux besoins de chaque espéce animale ou même à chaque individu (en médiation animale notamment) dans le sens d’une meilleur connaissance et donc d’un respect à leur égard. Des études mettent en avant des critéres croisés (indicateurs physiques, physiologiques et comportementaux) pour évaluer le bien-être animal (Fureix et coll 2010). Je salue d’ailleurs le travail remarquable de Clémentine Andrieux présente au colloque de l’IFEq; elle a évoqué son mémoire d’équithérapeute: »Les signes du mal-être chez le cheval en équitation et en équithérapie« . La présence et l’intervention d’Hélène Roche, éthologue, étaient aussi très pertinentes: « L’importance des comportements sociaux pour le bien-être du cheval« . Un grand merci à Nicolas Emond d’avoir permis ces échanges et ces débats.

Pour ma part, oui je suis pour le changement du statut juridique de l’animal dans le droit français… et je suis consciente que ce n’est pas un point d’arrivée mais un point de départ… la route est encore longue et les questions nombreuses en terme d’applications (quel statut pour l’animal, quels droits, quels devoirs?? Animal=sujet de droit?)… oui je suis pour une réglementation en médiation animale qui permettrait de poser un cadre en garantissant la formation des intervenants et de faire évoluer les représentations de l’animal dans ces pratiques (animal-sujet) et de protéger bénéficiaires et animaux impliqués.

Je terminerai avec ces mots de Florence Burgat (philosophe) sur les animaux qui aident des humains: ils devraient être choisis  « en raison de leur être d’animal, de leur singularité, et non en raison de dispositions fonctionnelles car à ce compte , une machine bien conçue d’une part, une aide rémunérée, d’autre part, seront bien plus utiles et bien plus conformes aux attentes« . Elle poursuit « c’est donc une singularité qui est (devrait être) recherchée, une relation dans ce qu’elle a de bien à elle. La relation avec les animaux n’est pas une sous-relation, une « faute de mieux », un pis-aller« . (colloque CEPIHA 2012)

Et si il est un domaine où la notion de bien-être peut et doit prendre tout son sens, c’est notamment celui de la relation thérapeutique entre des humains et des animaux. C‘est à nous professionnels de penser cette relation, cette rencontre avec notamment la mise en place de conditions d’interactions accordées et ajustées en prenant en compte le bien-être de chacun des protagonistes…

Voilà mon avis et mon positionnement! Que diriez-vous de plus d’éthique animale dans les formations en MA? Maintenant le débat est ouvert et la parole est à vous… Prenez la! 😉

Sandie BELAIR

9 Responses to “L’expression « Animal-Outil » n’a plus lieu d’être en médiation animale!”

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    lorene
    avril 29th, 2014 at 21:40

    Bon ben je me lance alors … 😉
    Je pense que l’un ne va pas sans l’autre. En tant qu’éducatrice le travail avec l’animal,permet de travailler les différentes palettes d’émotion et de sensation que l’on peut avoir. Prendre en compte le bien être de l’animal est une responsabilité que l’on inculque même à celui que nous accompagnons durant l’activité. Ce n’est pas parce que l’on a un handicap, une maladie, un trouble du comportement que nous ne devons pas prendre en compte le mal être qu’un animal peut ressentir. Je travaille auprès d’enfants porteurs de handicap moteur et troubles associés. Au début, les enfants devait monter limite comme un cours d’équitation. Pas de notion de contact, pas de respects de l’animal, c’était limite un moto poilue. L’objectif maintenant est de prendre le temps de connaître, de comprendre, d’observer l’animal comme l’humain et de faire en fonction des deux. Je pense que nous faisons partie d’un tout et que l’humain n’est pas plus important que l’animal et que les deux méritent d’être protégés et respectés. Je monte à cheval et savoir que je peux le blesser avec du mauvais matériel m’est insupportable. Bon j’espère avoir répondu à la question.

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    Sandie Bélair
    avril 30th, 2014 at 7:12

    Merci Lorene pour ce partage 😉

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    Nicolas E.
    avril 30th, 2014 at 8:22

    Sandie, je vous rejoins sur la notion de l’éthique, qui est d’après moi centrale même si je ne l’envisage pas tout à fait sous la définition de « l’éthique animale ». Pour moi, l’éthique n’est ne peut ni s’étudier, ni s’enseigner car il s’agit de valeurs morales individuelles, d’un talent plus ou moins inné, et qui n’est pas propre à une chose ou une autre (l’éthique n’est pas divisible en éthique humaine et éthique animale, c’est un système organisé de valeurs vertueuses). Et je ne la confonds pas avec la déontologie, qui est quant à elle un ensemble de règles propres à un exercice professionnel, qui s’enseignent, qui s’analysent, et qui reposent sur une éthique sans tout à fait la définir. En quelque sorte, l’éthique précède et créé la déontologie, l’éthique est valeurs, la déontologie est actions.

    Quand je parlais d’antropomorphisme samedi (et ce n’est pas mon goût immodéré pour la musique du XVIIè qui me fera craindre de passer pour un ringard), c’était pour considérer que si nous sommes tous sensibles aux signes de mal-être, nous avons tous des seuils et niveaux d’acceptation différents. Et ces seuils ne dépendent pas de critères objectifs, mais de nos interprétations et projections, de nous-même, de notre histoire relationnelle humaine et animale. On supporte ce qui arrive à nos chevaux suivant ce qu’on supportait de nous, et suivant notre capacité à tolérer la souffrance. J’accepte de travailler avec des chevaux qui peuvent menacer de mordre un patient trop brutal, tant que je reste confiant dans le fait que c’est temporaire et à un niveau supportable. De la même façon que d’autres laissent pleurer leurs enfants quand ils estiment qu’ils abusent et devraient s’en sortir.
    La « bonne » voie n’est donc d’après moi pas tellement dans le fait de réussir à qualifier et quantifier scientifiquement un seuil de mal-être acceptable ou non en séance d’équithérapie (5 oreilles en arrière + 4 fouaillements de queue = ce cheval ne peut plus travailler en équithérapie), c’est d’être dans une démarche éthique, autrement dit d’avoir cette préoccupation de faire au mieux pour éviter que nos chevaux n’aient à souffrir inutilement. Chaque cheval est différent, chaque patient est différent, chaque séance est différente, comment faire autrement que « faire au mieux », sinon considérer que l’éthique devrait nous conduire à relâcher nos chevaux dans les plaines du Kazakhstan pour ne leur imposer aucune contrainte liée à leur état domestique ?

    Il n’y a pas de passéisme ou de valeur négative en soi à l’anthropomorphisme ou à la projection, car ce sont des signes de lien affectif plutôt rassurants : considérer le cheval uniquement d’après une liste de comportements observables et de solutions mécaniques serait d’après moi bien plus objectivant.

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    Sandie Bélair
    avril 30th, 2014 at 8:57

    Merci Nicolas pour ces precisions pertinentes qui clarifient bien votre demarche et pensée. Je vous rejoins sur ces differents points. L’idée est de tendre vers le mieux en effet… Vous vous doutez bien que le côté provocateur de ce billet était aussi là pour ouvrir le débat et susciter des réactions. Poursuivre les échanges… et je vous remercie d’être toujours fidele à cela.

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    Anne PEUDECOEUR
    avril 30th, 2014 at 12:52

    Bonjour,

    Je lis avec attention et bonheur cet article.
    Je suis co-fondatrice et présidente de la toute jeune association APCFC (Association des Professionnels du Coaching Facilité par les Chevaux) et nous avons inscrit dans notre charte le respect de l’intégrité physique et morale des chevaux qui travaillent avec nous. Nous les appelons partenaires et non « outils ».
    A chaque atelier que j’organise, je suis impressionnée par la « Présence » du cheval, sa capacité à aider l’autre, à être à l’écoute; Je dis souvent que le coach c’est lui !!!!
    Merci pour votre article, que je partage sur la page de notre association.
    Amicalement
    Anne

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    Nicolas E.
    avril 30th, 2014 at 13:17

    Pour aller un peu plus loin, quelques points de réflexion venus grâce à une petite sortie à cheval 😉

    Beaucoup d’auteurs parlent de bien-être lorsque possibilité d’exprimer ses comportements naturels. Mais on s’inquiète pour le bien-être de nos chevaux (chiens ou autres) dès que ces comportements naturels sont connotés négativement dans le système humain (menace, agression, fixité, lenteur, fuite…). On en revient à une certaine forme de culpabilisation (si vos chevaux expriment des comportements naturels « négatifs » c’est parce que l’environnement ne correspond pas aux besoins de l’espèce), qui oublie la violence de la « nature » en attribuant à des individus la cause de ce qui est jugé mauvais pour le cheval.

    On parle aussi beaucoup « du cheval ». Au risque d’oublier chaque cheval, ses particularités, sa singularité. Chacun ayant ses propres capacités d’adaptation et, si j’ose dire, de résilience. Nous avons tous connu des chevaux se laissant mourir de faim dès leur mise en retraite après une vie passée en box et en concours. Qui boîtaient uniquement les mercredis et samedis matin. Ou qui ne présentaient aucun signe de mal-être bien que vivant dans un environnement contestable. Sur ce point, j’aime beaucoup la pensée d’Isabelle Claude, qui rappelle souvent qu’elle ne connaît pas le cheval, mais qu’elle a connu des chevaux. N’est-ce pas le plus bel hommage qu’on puisse leur rendre ? Ce que nous nous interdisons vis-à-vis de nos patients (les réduire à une pathologie, une condition, un symptôme, une catégorie), comment pouvons-nous le recommander vis-à-vis de nos partenaires de travail ?

    Nous calquons souvent sur le cheval « domestique » voire « urbain » des connaissances acquises sur des chevaux « à l’état sauvage ». Avec tous les guillemets qui s’imposent. Comme si nous pensions expliquer la sociologie du Parisien à travers l’étude des coutumes des Yanomami.
    Or, pour moi il va de soi qu’aucun cheval à Bordeaux ou Nantes n’est une proie, pas plus qu’aucun Parisien n’est, pour reprendre l’expression chère à JC Barrey, un chasseur-cueilleur. Je regrette qu’on oppose systématiquement nature et culture, en laissant envisager qu’il existerait derrière chaque animal une nature sauvage opprimée par un état de domestication contrainte (et sous-entendu néfaste). Ne peut-on pas imaginer que les animaux peuvent d’adapter à leurs conditions de vie domestiques, de la même façon que nous avons appris à vivre heureux malgré le métro, les horaires de travail, l’huile de palme et la taille des appartements ?

    Enfin en dernier point, car je ne veux pas débattre de la question de l' »outil » animal qui nous amènerait bien loin, c’est l’évolution de nos représentations du mal-être. Il y a peut-être 40 ou 50 ans, on aurait probablement rit au nez du premier d’entre-nous qui aurait annoncé que, par respect, il ne faisait pas travailler ses chevaux quand ils boitaient ou souffraient de blessures handicapantes. Aujourd’hui, nous nous demandons si vraiment on peut continuer à laisser un cheval en liberté dans un manège avec un patient immobile en fauteuil s’il a trop souvent les oreilles en arrière ou si son angle tête-encolure est inférieur à 90°. Quel chemin parcouru ! Je ne veux évidemment pas dire que tout est gagné et que ça ne vaut plus la peine de s’y intéresser, mais quand même, on devient extrêmement exigeants sur certains détails qui nous éloignent (comme le soulignait Yannick samedi à travers les exemples provocateurs dont il a le secret) de ce qui devrait être notre préoccupation première, à savoir nos patients.
    Avec un poil (à gratter) de malice, je relève aussi que, dans l’univers de la médiation équine, on reçoit toujours de meilleurs commentaires en parlant du cheval qu’en parlant de santé humaine. D’ailleurs combien de congrès en médiation équine font intervenir des spécialistes de la santé humaine hors médiation équine, et combien font intervenir des spécialistes équestres non plus connaisseurs de la médiation équine ? Pourquoi trouve-t-on, dans les formations en TAC, des équivalences en psychiatrie ou en physiologie, mais jamais en éthologie équine, en équitation ou en travail du cheval ?

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    Sandie Bélair
    mai 5th, 2014 at 9:15

    Merci Anne pour votre commentaire et merci Nicolas pour ces nouvelles réflexions qui nous permettent de pousser plus loin le débat!

    Quelques (longs) mots pour préciser mon propos…

    L’éthique, discipline philosophique, a pour objectif de préciser comment les êtres humains doivent se comporter et être entre eux mais aussi avec ce qui les entoure. On retrouve différentes formes d’éthique ; elles se distinguent par leur degré de généralité et leur objet. Mais à mon sens l’éthique est bien ancrée dans le réel et elle permet de se demander : « comment agir au mieux ? », elle fait appel à la nuance…

    Concernant les animaux, il est vrai que tous les philosophes ne s’accordent pas sur le fait de parler « d’éthique animale ». Pour Elizabeth de Fontenay, qui se déclare « spéciste », elle ne positionne pas l’homme et l’animal sur le même plan. Ainsi, elle considère qu’il n’y a pas deux éthiques : l’une humaine et l’autre animale. L’humanisme doit inclure les animaux dans la sphère morale, elle fait de l’homme un être singulier (doué du langage qui lui permet de faire l’histoire et le droit) et, à cet égard, ce dernier a la responsabilité des animaux et devrait/doit les défendre. J’apprécie sa pensée et ses mots ; et cette justesse de ton. Toutefois, je m’intéresse aussi à l’éthique animale.

    A mon sens, cette dernière n’est pas un simple répertoire moral de ce qu’il est bien de faire ou pas aux animaux… elle nous invite à penser notre rapport au monde animal ; c’est donc un lieu de réflexion et de débat… au sein duquel chaque acteur de la médiation animale devrait se trouver (il ne doit évidemment pas être le seul lieu de réflexion). S’intéresser au bien-être animal et à l’éthique animale, l’interroger dans le cadre de la MA ne signifie pas que l’on va remettre en cause toute utilisation de l’animal et que l’on va relâcher tous les chevaux dans la steppe. Ou que l’on va se perdre en détails. Là encore, il s’agit de réflexion, de nuance et de faire au mieux…

    Ainsi parler d’« éthique animale », dans toutes les formations en MA, permettrait d’ouvrir un lieu de débat comme nous le faisons aujourd’hui sur ce blog. Ne devrait-on pas, même quelques heures, mettre cette notion en débat, confronter nos points de vue ? Cela ne me paraît pas si absurde et si éloigné de notre pratique. Rappelons que l’éthique a les deux pieds dans le réel et qu’il ne s’agit pas seulement de concepts abstraits et encore moins de bien ou de mal.
    Je ne crois pas que notre intérêt pour le bien-être animal nous écarte de notre préoccupation pour nos patients. Comme nous le disons souvent, il n’y a pas une pratique mais des pratiques et je pense que des pratiques diffèrent aussi en fonction des représentations que nous avons de l’animal et de la place que nous souhaitons lui accorder dans les prises en charge. L’exemple mentionné dans mon billet (le patient qui tombe de cheval) donné par un de mes confrères est en lien avec ses représentations et la place qu’il donne à l’animal dans sa pratique… la mienne (de pratique) est différente.

    Dire que notre « préoccupation première » concerne les patients me semble insuffisant. La médiation animale est un domaine en soi, celui des interactions homme animal. Et à mon sens, l’animal doit être considéré comme un acteur à part entière, c’est un être singulier… la MA est la rencontre singulière entre des populations fragilisées et des animaux dont le but (pour être généraliste) est le mieux-être des individus humains. Ma préoccupation première, pour ma part, porte sur la mise en place de conditions d’interactions ajustées, sur l’établissement d’une relation et sur le bien-être du patient et de l’animal. Je n’oppose pas les deux. Et à mon sens, c’est la relation qui est thérapeutique. Si je considère l’animal comme un outil en MA, je ne prends pas en compte son « être », son intériorité et sa singularité. Puis-je alors travailler sur la relation ? Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il y a des chevaux… et des chiens… tous sont différents… connaître Le Cheval ne signifie pas que je connais tous les chevaux.

    Pour ma part je n’oppose pas nature et culture, la distinction des deux est à mon sens contestable aujourd’hui. Les dernières avancées scientifiques peinent d’ailleurs à distinguer leur influence respective. La sensibilité individuelle aux facteurs environnementaux semble tendre en fonction du profil génétique. Mais il semblerait également que la part de l’aléatoire (mutation génétique, événements de vie aux conséquences inattendues…) joue un rôle dans le développement individuel.

    Nos représentations à l’égard des animaux et de leur souffrance ont évolué… heureusement… autre temps et autres mœurs… la libération des différentes minorités a permis que l’on s’intéresse à juste titre à la façon dont nous traitons les êtres non humains… là encore dans l’idée de tendre vers le mieux… et de se positionner pour une domestication respectueuse.

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    Nicolas E.
    mai 5th, 2014 at 18:50

    A moi donc de rentrer sur le terrain houleux de la place du cheval en équithérapie ! Et de débattre de la notion d’outil… ce qui est peu évident tant le terrain est glissant. Je m’essaye donc avec précaution à cet exercice de style pour tenter d’expliciter mon approche 😉

    Pour commencer, je replace mon positionnement dans son contexte : je suis psychologue développementaliste, et en équithérapie je mène 2 types d’actions (distinctes car pas toujours compatibles) :
    – d’une part des actions de thérapie de développement (d’orientation cognitive sur le versant néopiagétien), dans lesquelles je place effectivement le cheval au rang d' »outil » ou plus précisément d' »instrument » – avec autant de guillemets que possible car l’idée n’est effectivement pas de l’assimiler à un jeu de cubes ou à une paire de ciseaux ;
    – d’une autre des actions de psychothérapie assistée par les équidés (d’orientation systémique et d’après le modèle EAGALA), dans lesquelles les chevaux interviennent en tant que partenaires des co-thérapeutes – mais de même on pourrait, ce que je ne ferais pas ici, nuancer longuement cette notion de partenariat n’assimilant pas le cheval à un rôle de thérapeute tout lui accordant un statut de membre de l’équipe thérapeutique.

    Parler d’outil revient généralement à invoquer des représentations plus liées au bricolage qu’à la notion d’usage, de bénéfice pour un tiers ou d’instrument. De même que parler de bien meuble invoque plutôt le rayon salon-séjour d’une enseigne suédoise que les notions de « déplaçabilité » et d’appartenance opposable. C’est un biais de catégorisation qui nous pousse à vouloir comprendre les concepts non pas d’après leur sens propre, mais par comparaison avec d’autres représentants de la même catégorie. Utiliser ce vocabulaire pourtant précis et adapté incite certains auditeurs à comparer le cheval avec un marteau (prototype de la catégorie outil) ou un canapé (prototype de la catégorie meuble). Pour autant, ce n’est pas de ces catégories que l’on parle, mais bien de la place du cheval dans une séance d’équithérapie (moyen de thérapie) ou dans le code civil (droits et obligations des personnes privées dans leurs relations).

    Je crains de choquer en faisant un lien entre cheval, outil et instrument. Ceux qui me connaissent savent que je nourris une longue passion pour la musique et les outils qui servent à la produire – les instruments – qui vibrent et résonnent, qui créent l’harmonie, ont parfois des ouïes et une âme, et peuvent être l’objet d’une relation singulière avec leur possesseur (et on peut noter que dans le vocabulaire musical, c’est l’humain qui devient objet et outil en étant résumé à l’appellation d' »instrumentiste »).
    J’aime beaucoup ce parallèle entre la place que j’accorde au cheval en thérapie et le lien que les musiciens entretiennent avec leur instrument. Pour produire une belle musique, il faut un instrument accordé, en bon état, si possible de bonne facture et avec lequel l’instrumentiste s’est familiarisé. Mais il faut aussi un instrumentiste suffisamment talentueux pour interpréter une partition et maîtriser la technique liée à l’utilisation de son instrument dans le style propre au répertoire qu’il veut jouer. Dans l’objectif de « faire de la belle musique », l’un et l’autre sont interdépendants.
    Un mauvais violoniste jouera toujours aussi mal sur le meilleur Stradivarius qu’il risquera d’abîmer. De même que l’équithérapeute le moins compétent restera médiocre s’il ne sait pas « utiliser » (rendre utiles) les qualités d’un cheval parfaitement éduqué et bien dans ses sabots, et prendra même le risque de corrompre ces qualités.
    En revanche un excellent violoniste aura le talent pour trouver l’interprétation qui mettra à profit les défauts d’un mauvais violon. De même qu’un bon thérapeute saura « utiliser » à l’avantage de ses patients un cheval n’ayant pas toutes les qualités qu’on pourrait attendre.

    Ce que je veux dire, c’est que la notion de cheval « outil » ne correspond pas seulement à l’idée d’utiliser un animal-objet pour servir des besoins matériels. Pour moi, la notion d’outil, ou plutôt d’instrument, signifie que le sens que prennent les interactions entre le cheval et le patient dépend de comment le cheval est amené par le thérapeute (dans quel objectif, quel contexte, à quel moment, quelles attentes…). Ce qui ne retire nullement au cheval sa qualité d’être vivant, sensible, communiquant, etc., puisque ce sont justement ces qualités qui justifient de s’être tourné vers un cheval. Mais ce qui le limite, du point de vue de l’action de thérapie, à être un médiateur, un intermédiaire, voire parfois simplement un bon prétexte.

    Enfin, peut-être pour me réconcilier avec ceux qui pourraient trouver qu' »objectiver » un être vivant est difficile à admettre en thérapie, je voudrais conclure par un parallèle entre la place que j’accorde au cheval en thérapie de développement et la place de l’analyste en psychanalyse.
    Je serais bien incapable de faire un long exposé sur la théorie des 4 discours de Lacan, et en particulier sur le discours de l’analyste, mais ce que j’en retiens, c’est que pour permettre au patient de (re)devenir sujet et de trouver la clé de ses propres signifiants, l’analyste doit devenir pour lui un objet semblant détenir des révélations.
    Chez Freud et chez Lacan, le thérapeute comme objet de l’autre, en mettant sa personne à disposition de ses patients, pour qu’à travers cette expérience relationnelle, ils puissent accéder à eux-mêmes.
    Le cheval comme objet du thérapeute. Le cheval comme objet du patient. C’est à cette double condition que le cheval semble devenir capable de lire et renvoyer, par sa sensibilité à l’infra-verbal, les vérités profondes qui se cachent en nous. Et à cette double condition qu’il nous permet, à nous thérapeutes comme à nos patients, de devenir sujets.
    N’est-ce pas une façon de concevoir les objets avec éthique, dans le respect et la dignité ? Ne sommes-nous pas fâchés avec les mots plus qu’avec les concepts ?

    C’est de ce dernier point de vue associant le regard psychanalytique (dont je ne me fais par ailleurs nullement l’apôtre) que je trouve légitime d’interroger ce que nous recherchons à travers nos démarches pour « donner un statut » aux animaux qui n’en demandent pas tant, cette démarche étant en elle-même des plus objectivantes.

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    laetitia
    mai 7th, 2014 at 12:01

    Je prends enfin connaissance du nouvel article du blog, après 5 jours passés dans le Finistère Nord pour un stage d’éthologie équine ave Jean Claude Barrey… ressourçant !!!
    Je prends un peu de temps pour poser des idées qui émergent suite à la lecture de l’article et des longs commentaires !!! Mon propos sera sans doute décousu et peu organisé mais je pose là ce qui me vient à propos d’un sujet passionnant et qui suscite logiquement bien des réactions !!!
    Tout d’abord, il me semble important, voire essentiel, que dans nos pratiques en médiation animale, dans lesquelles nous sommes amenés à travailler avec « du vivant », avec un Autre, sujet, une place soit faite à l’éthique. Ma posture professionnelle est sous-tendue par une éthique qui s’éprouve avant tout dans l’acte, un questionnement permanent sur ma pratique. Comme l’explique Joseph Rouzel, « le positionnement éthique ne remet pas en cause les éléments de responsabilité juridique, de déontologie ou de morale, il les relativise, en réintroduisant, par la fenêtre, ce que notre société scientiste ne cesse de refouler par la porte : le sujet » . Et cela me semble incontournable. Comme il me semble légitime de me poser la question des conditions dans lesquelles je mets la personne que j’accompagne, il me semble aussi légitime de me poser la question des conditions dans lesquelles je mets l’animal avec lequel je travaille.
    Je pense qu’il serait important qu’une telle dimension de notre pratique soit intégrée dans les formations en médiation animale. En effet, cela permettrait de sensibiliser les étudiants à ces questionnements, à cette dimension parfois oubliée de notre travail : nous sommes habitués à considérer la personne que nous accompagnons, à nous questionner sur l’incidence de ce que nous mettons en place, mais être dans la même démarche concernant l’animal qui nous accompagne est moins naturel, moins évident.
    Ainsi, mettre au programme des formations une partie sur l’éthique semble se justifier : éthique au sens large, celle qui nous renvoie à la notion de RESPONSABILITE comme le propose Emmanuel Lévinas. Alors que la responsabilité juridique a un caractère répressif et cherche « qui a été la cause de », la responsabilité éthique signifie notamment « je veux répondre de mes actes » . L’éthique animale est bien l’étude de la responsabilité morale des hommes à l’égard des animaux.
    L’éthique animale est une logique extentionniste : elle souhaite élargir le cercle de la considération morale par-delà les frontières de l’espèce. Dans ma profession d’éducatrice spécialisée, je suis amenée à rencontrer des personnes qui sont fragilisées par certaines difficultés, diverses déficiences, des situations sociales précaires… Ainsi, l’expérience de l’altérité que je fais jour après jour est notamment « celle de la vulnérabilité de l’autre homme et solidairement du sentiment de ma responsabilité envers lui » . Si je me place logiquement dans cette dimension pour cet Autre que j’accompagne, il me semble évident de me placer dans cette même dimension pour cet Autre (animal), qui travaille avec moi. Mireille Cifali me rappelle d’ailleurs qu’il s’agit pour cela de « se battre pour préserver une altérité en s’adressant à l’autre comme sujet et non comme objet » .

    A propos de ce terme « objet », de cet autre d’ « instrument »… effectivement, nous sommes sans doute davantage fâchés avec les termes qu’avec ce qu’ils représentent. Cependant, il apparaît quand même que pour la plupart des personnes, le signifiant « objet » se rapporte davantage à la « chose », quelque chose d’inanimé qu’à la notion d’objet que l’on retrouve dans l’expression « relation d ‘objet » qui peut être utilisée en psychologie. Et repréciser les choses, rappeler que l’animal est bien un être vivant sensible, qui vit dans un monde propre, permet de rappeler que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi avec lui. Pour moi, parler d’animal outil ou d’instrument peut entraîner des dérives lorsque ces termes ne sont pas explicités aussi finement et de façon aussi poussées que dans l’intervention de Nicolas concernant les instruments de musique… Et là encore, si en musicothérapie le thérapeute peut se permettre de voir ses instruments malmenés pendant la séance, en médiation animale, nous devons être vigilants en permanence et nous questionner pour que cela n’arrive pas !

    Pour moi, et c’est un point de vue très personnel, l’animal est un PARTENAIRE de travail, ce n’est pas un outil. Je ne le considère pas comme je considère une autre médiation telle que la peinture, le jeu, l’eau… Pour la psychologue Livia Nocerini, dont je rejoins le propos, « même si l’animal avec lequel on travaille vit par rapport à l’homme dans une relation de dépendance relative, cette notion peut être dépassée quand la relation devient une forme de collaboration. La collaboration, qui est une forme de partenariat, permet de garder dans une relation un équilibre qui ne nuit à aucun des concernés. Elle permet également d’exclure l’utilisation de l’animal en tant qu’instrument » . Pour elle, en médiation animale, l’instrumentalisation est incompatible avec une éthique qu’il convient de respecter.

    La moindre des choses il me semble est donc de considérer l’animal comme un être à part entière, un sujet, qui vit dans son monde propre, qui a des besoins particuliers, spécifiques. Il s’agit de le mettre dans des conditions de vie et de travail le moins stressantes possibles. Et là il est vrai que l’appréciation de la limite au-delà de laquelle ça devient trop stressant est difficile et subjective.
    Comme l’écrit Jean Claude Barrey, « Dans le pire des cas, nous le contraignons, dans le meilleur des cas nous le manipulons ! La moindre des choses est que nous en soyons conscients et responsables, et que nous minimisions les problèmes que nous posons par des solutions de compensations adaptées à chaque cheval et à chaque environnement » . Ainsi, il me semble d’autant plus important et essentiel dans ce que nous exigeons du cheval, de toujours respecter celui-ci, de prendre en compte sa nature, sa façon d’être et son rapport au monde. Que ce soit pendant les moments de travail ou dans le quotidien, attachons-nous donc dans la mesure du possible à être le plus proche possible de ses conditions de vie en milieu naturel et tentons de prendre au maximum en compte l’être-cheval dans sa spécificité, sa particularité et son individualité aussi…

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La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

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