Sandie Bélair août - 12 - 2011
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Ah le loup…  Comme il m’est familier dans mon travail de psychologue clinicienne… Très présent dans l’imaginaire et les fantasmes des enfants, il m’arrive régulièrement avec mon médiateur canin Dubaï de faire des ateliers « contes » et de jouer ensuite avec les enfants « Les trois petits cochons » ou « Le petit Chaperon rouge »… Les histoires avec le loup remportent tous les suffrages… A l’occasion, je viendrai vous parler de ce travail fort pertinent auprès des plus jeunes enfants et de ce fameux loup dans la vie psychique! Mais aujourd’hui, je souhaitais vous présenter une association dont le travail me tient à cœur.

Très sensible à la présence des grands prédateurs dans nos contrées et en raison de l’actualité à ce sujet, j’ai en effet souhaité donné la parole au président de l’association FERUS. Cette association œuvre pour la conservation de l’ours, du loup et du lynx en France.


FERUS ( « ce qui est sauvage » en latin) est née de la fusion d’ARTUS (association née en 1989 militant pour la sauvegarde de l’ours brun ) et du Groupe Loup France (association née en 1993 avec l’apparition des premiers loups sur le territoire français). FERUS a pour buts, en France, notamment dans les massifs frontaliers et en relation avec les pays européens voisins :

– d’articuler et de coordonner toutes actions de recherche, de sensibilisation et d’éducation liées à la présence et à la réhabilitation du loup, de l’ours et du lynx,

– de favoriser la réussite du retour naturel du loup là où les conditions sont favorables,

– de favoriser le maintien et le renforcement des populations d’ours,

– de favoriser le retour et le maintien des populations de lynx.

De plus, FERUS milite pour la cohabitation prédateurs/pastoralisme qui est possible en France, comme dans de nombreux pays européens. La prise en compte des intérêts particuliers du pastoralisme et des intérêts généraux et collectifs de la préservation de la biodiversité sont le fondement de l’action de FERUS. Il s’agit donc de les promouvoir et de les financer.

Merci donc à Monsieur Gilbert Simon, son président, d’avoir accepté de répondre à nos questions! Il nous apporte plusieurs précisions sur la présence du loup sur notre territoire et sur les dernières attaques de bétail!

Je vous encourage vivement à prendre connaissance des actions de cette association via leur site très complet et à les soutenir selon vos moyens et disponibilités!

Merci et bonne lecture!

Sandie Bélair: Les dernières attaques de troupeaux ont été très médiatisées et semblent « réalimenter » la peur ancestrale du loup et son corollaire « la chasse au loup ».On a pu ainsi lire ou entendre que le loup, espèce protégée, « proliférait » dorénavant sur notre territoire et qu’il n’hésitait pas à « attaquer le jour ». Qu’en est-il réellement de la présence de cet animal sur notre territoire ? Quel est son mode de fonctionnement ? Comment se nourrit-il et de quoi ?

Gilbert Simon: Environ 27 familles de loups ou meutes (un couple dominant et des loups plus jeunes) vivent en France, principalement dans l’arc alpin. C’est très réconfortant pour les amis de la nature, qui paye par ailleurs un si lourd tribu à l’agriculture intensive, à l’urbanisation et au cloisonnement des milieux. Le loup avait disparu depuis plus d’un demi-siècle, qui aurait prédit un retour naturel si rapide, même dans les années 80 ? Le loup, dépendant de ses proies, ne « prolifèrera » jamais (une famille exploite environ 200 km 2). Cela dit il est en phase de recolonisation, les jeunes adultes cherchent et trouvent des territoires encore inoccupés. Un département français fait environ 5000 km 2, dont une petite moitié est favorable au loup dans les Alpes : rien que dans les sept départements alpins (Var inclus) nous pourrions ainsi avoir plus de cinquante meutes sans qu’on puisse parler de prolifération.

Les loups en France mangent tous les ongulés sauvages (chamois, mouflons, bouquetins, cerfs, chevreuils, sangliers) qui constituent environ 70% de leur alimentation. Tant qu’ils peuvent avoir accès au bétail, ils s’y attaquent aussi, les moutons représentent actuellement un peu moins de 30% de leur régime. Ils peuvent se nourrir de détritus, de charognes et de petites proies mais préfèrent nettement les grosses. Un loup peut manger plusieurs kilos de viande en une seule fois, une proie de la taille d’un chevreuil ou d’un mouton peut être consommée en un jour par un groupe de sept à huit loups comme on en voit dans le Mercantour.

 

S.B: L’enquête relative à l’attaque du 16 juillet dans la vallée de l’Ubaye (Alpes-de-Haute-Provence) a t-elle rendu ses conclusions ? Le loup en est-il le responsable ?

G.S: Non, pour le moment on n’en sait guère plus qu’au premier jour : même si les agents chargés du constat estiment que le type de morsure et le mode de consommation peut être attribué au loup, il n’y a jamais de preuve absolue sauf circonstance très particulière (témoin de l’attaque par exemple, ou empreintes dans la neige). Certes on peut relever des poils ou des crottes et procéder à des analyses d’ADN (dont les résultats arrivent toujours assez tard) mais on ne peut pas assurer que l’animal qui était sur place et a laissé ces indices est celui qui a attaqué.

S.B: Suite aux dernières attaques, des tirs dits « de prélèvement » pour un loup ont été autorisés par les préfets dans certains départements et « semblent » satisfaire les éleveurs et élus locaux. Quelle est la position de Ferus et quelles pourraient être les conséquences de ces tirs?

G.S: Eleveurs et élus ne sont pas si satisfaits que cela puisqu’ils sont allés en délégation demander à la ministre de l’Ecologie d’ assouplir les conditions de destruction de loups alors que précisément les préfets avaient déjà délivré de nombreuses autorisations de tir en application du dispositif en vigueur.

Aujourd’hui sans entrer dans trop de détails il y a un plafond national de six loups, c’est le total des animaux qu’on peut abattre légalement dans l’année par dérogation à la protection de l’espèce. Ferus a toujours condamné les tirs dits « de prélèvement » qui consistent à tuer un loup pris au hasard pour calmer le jeu quand la colère des éleveurs est trop forte ponctuellement. Mais le loup qui vient d’être abattu dans la Drôme l’a été à la suite d’un tir dit « de défense » c’est à dire près d’un troupeau, après que tous les moyens de protection et d’effarouchement n’ont pas empêché la poursuite des attaques.

Les tirs « légaux » (six loups sur une population d’environ 200) n’auront quasiment pas d’impact sur la démographie de l’espèce. Ferus a déjà démontré que le braconnage des loups avait eu plus de conséquences. Localement si un loup est tué dans une meute, cela ne change pas la pression que les survivants exercent sur les troupeaux, ni l’obligation de protéger ces derniers. Au pire si c’est un loup dominant qui est tué la meute peut éclater et les attaques se produire sur une plus grande échelle. A l’inverse on peut penser que si on tire sur des loups en train d’attaquer le bétail, ils assimileront ce dernier à une proie moins accessible…

 

S.B: A ce jour, on estime que le nombre d’attaques de troupeaux a augmenté de 25% et que celui des victimes a augmenté de 18% par rapport à 2010. Confirmez-vous ces chiffres ?

G.S: L’augmentation est constante, avec des variations d’une année à l’autre en fonction de nombreux facteurs. Le bilan ne peut être tiré qu’à la fin de la saison. Elle a été de 10% de 2009 à 2010. Des dérochements entraînant la mort d’un grand nombre de moutons d’un seul coup peuvent biaiser les chiffres si l’on n’observe que de courtes périodes. Mais il est exact que les attaques augmentent beaucoup (toutefois il y a moins de victimes par attaque quand les troupeaux sont bien protégés). Il est exact aussi qu’on voit plus d’attaques de jour quand les troupeaux sont bien gardés la nuit.

S.B:Les éleveurs dont les troupeaux subissent les attaques sont-ils indemnisés? Si oui, quelles sont les conditions de cette indemnisation ?

G.S: Ils sont très bien indemnisés, que l’attaque soit attribuée de façon certaine au loup ou plus généralement qu’on n’écarte pas sa responsabilité. C’est toujours un agent assermenté qui fait le constat. Chaque animal est payé sur la base d’un barème forfaitaire négocié avec les représentants des éleveurs, et l’on ajoute des primes de stress ou de dérangement. S’il est parfaitement vrai que les éleveurs ne sont jamais heureux d’en passer par ces indemnisations, il ne faut pas oublier que les 4000 victimes du loup sont remboursées, alors que les centaines de milliers de victimes d’autres phénomènes, maladies, orages, chiens errants ne le sont pas.

S.B:Les attaques de loup à l’encontre de l’homme sont des faits rarissimes. Mais sont-elles possibles et dans quelles circonstances ?

G.S: La plupart de ceux qui veulent ranimer la peur du loup se réfèrent à des faits anciens, voire très anciens. Je ne polémiquerai pas là dessus, tellement les circonstances ont changé dans nos contrées. Ne serait-ce que la disparition de la rage, la généralisation des armes de chasse depuis deux siècles, la disparition de la main d’oeuvre enfantine dans les campagnes …

Honnêtement, dans l’Europe de l’Ouest, de nos jours, une attaque de loup contre un homme qu’il assimilerait à une proie semble quasiment impossible. Quelques enfants en très bas âge sont dévorés par des loups en Inde par exemple, parce que leurs mères, qui travaillent dans les champs, sont forcées de les abandonner toute la journée dans leurs couffins, mais qui irait abandonner un nourrisson de moins d’un an dans un alpage ? On a rapporté un (et un seul) cas d’attaque d’une importante meute de loups en Amérique du Nord ces cinquante dernières années, mais j’imagine mal un randonneur cerné puis dévoré par trois ou quatre loups alpins en plein hiver ! Et s’il est blessé, on peut penser que les secours seront sur place les premiers…

En tout cas un loup surpris, même sur sa proie, ou même près de ses petits, s’enfuira toujours si l’homme avance sur lui ; dans ces circonstances il n’y a absolument aucun risque. C’est le contraire qui arrive, des gens aimeraient bien le voir et regrettent son caractère fuyant.

S.B:La présence des troupeaux et des loups dans nos montagnes est essentielle à l’éco-système et à la biodiversité. Le loup est même qualifié de « régulateur écologique ». Pourquoi ?

G.S: Ces deux affirmations méritent au moins réflexion. Aucune espèce n’a été créée par l’élevage ou la présence de troupeaux, la biodiversité ne s’est pas enrichie dans le court laps de temps (quelques milliers d’années) où les animaux domestiques on supplanté des herbivores sauvages. Il est vrai que la présence des troupeaux favorise un certain type de végétation rase et maintient des milieux ouverts qui forment des paysages plaisants pour l’homme. Certaines espèces animales en bénéficient, d’autres en souffrent surtout s’il y a surpâturage. Mais de nombreuses montagnes sans bétail sont aussi riches en biodiversité !

Quant au loup, comme beaucoup de super prédateurs, il joue un rôle en limitant le nombre d’ongulés, en obligeant leurs hardes à plus de vigilance et à de plus grands déplacements, en éliminant les malades. Il a ainsi un impact indirect sur de nombreuses autres espèces, mammifères et oiseaux charognards qui consomment ses restes, plantes que ne mangent pas les grands herbivores, oiseaux et insectes qui y sont associés.

Mais il faut aussi admettre qu’en de nombreux endroits de la planète les grands prédateurs ont été éliminés par l’homme et que leur regrettable absence ne fait pas que les écosystèmes n’ont plus aucun intérêt ! Les espaces naturels alpins qui ont été classés en parcs ou réserves l’ont tous été en l’absence de grands carnivores.

S.B: Existe-t-il des solutions pour permettre leur cohabitation ?

G.S: Oui, mais elles ont un coût, humain et financier. Sans abuser de la digression, en plein cratère du Ngorongoro, en Tanzanie, haut lieu de la grande faune africaine, des éleveurs font pâturer vaches et chèvres au milieu de lions, de panthères, de hyènes, et n’ont quasiment pas de pertes. Pascal Wick, un Français célèbre pour avoir popularisé le patou, a conduit des troupeaux de moutons en Colombie britannique au milieu de loups, de pumas et d’ours sans subir de dommages…Et dans les Abruzzes en Italie comme dans la Sierra de Culebra en Espagne, les troupeaux de moutons vivent au milieu de loups bien plus nombreux qu’en France et ne sont presque jamais touchés.

La seule solution vraiment efficace est la présence constante d’un berger et de chiens de protection combinée à une taille raisonnable du troupeau, cela a donc un coût. Le regroupement en parc de nuit est indispensable mais c’est un pis-aller, moins sûr qu’une bergerie en dur. Deux formes d’élevage sont particulièrement vulnérables face au loup : le pâturage libre de grands troupeaux de plusieurs milliers de têtes, et le maintien dans de petits enclos de quelques bêtes non surveillées comme cela se pratique en Suisse ou dans le Jura.

 

Parmi les mesures de prévention, l’utilisation des chiens de protection, patous, est délicate à mettre en œuvre, c’est l’une des plus contraignantes pour les éleveurs et les bergers. Pourquoi ?

G.S: Même si on a sélectionné de bons chiots (ce qui n’est jamais garanti) il faut d’abord gérer une longue phase de dressage. Le chien doit être élevé au milieu des brebis et croire qu’il fait partie du troupeau, mais sans être pour autant complètement inadapté à la présence humaine sinon il présentera des risques pour les randonneurs. Ensuite il faut avoir suffisamment de chiens compte tenu de la taille du troupeau, et ces chiens ne peuvent pas être sur le qui-vive jour et nuit. Enfin il faut s’en occuper toute l’année, même quand les troupeaux sont redescendus de la montagne.

© Photo FERUS

 

S.B: Je sais que Ferus est très sensible au pastoralisme et donc aux attaques des loups sur les troupeaux, pouvez-vous nous parler de votre action dans ce domaine et plus particulièrement de pastoraLoup ?

G.S: Il est impossible d’éliminer le loup (c’est techniquement réalisable mais les textes de protection moderne l’interdisent, heureusement), et il est tout aussi impossible d’abandonner l’élevage de montagne, pour de nombreuses raisons qui ne sont pas seulement économiques, mais aussi sociales et culturelles. Ceux qui demandent l’éradication du loup comme ceux qui rêvent d’une disparition des éleveurs sont dans une impasse. Ferus a toujours joué la carte de la prise en compte du loup comme une des composantes de l’élevage de montagne actuel et a mis en place un programme d’écobénévolat, pastoraLoup.

Il est important qu’une association de conservation des grands prédateurs travaille avec le monde agricole, il est essentiel que des volontaires venus d’autres horizons que celui de l’élevage puissent faire l’expérience de séjours dans les alpages auprès de troupeaux menacés par des loups, et il est heureux que des éleveurs voient leur tâches quotidiennes -décuplées par la présence du prédateur – allégées par ceux-là même qui sont connotés amis de la nature.

Chaque année dans cinq départements Ferus place des bénévoles auprès des troupeaux pendant quelques semaines -après les avoir préparés lors de stages de formation -, organise également avec des volontaires des chantiers pour aider les éleveurs (comme la construction de parcs et d’abris ) , enfin, et c’est une activité qui devrait se développer, met sur pied des équipes d’intervention rapide pour porter assistance à ceux dont les troupeaux sont attaqués en dehors des zones de présence connue du loup.

S.B:Comment peut-on aider votre association ?

G.S: De deux manières, en participant aux programmes d’écobénévolat en faveur de l’ours dans les Pyrénées (Parole d’ours) ou au loup dans les Alpes (pastoraLoup), données plus précises sur notre site. Et surtout en adhérent à Ferus et en lui apportant non seulement un petit soutien financier mais surtout du temps de bénévole, parfois simplement derrière un ordinateur, car Ferus est une association qui sollicite beaucoup ses adhérents et sympathisants.

S.B: Souhaitez-vous ajouter quelques mots ?

G.S: Juste que je vous remercie de nous avoir donné la parole. Mais nous n’avons pas le monopole de celle-ci, et contre la minorité qui veut leur peau les grands prédateurs ont besoin d’un fort soutien de l’opinion publique. Que ce soutien leur soit apporté par tous les canaux associatifs mais aussi par les citoyens qui ont de nombreuses occasions de se manifester sur internet, et qui ont du pouvoir en tant qu’électeurs.

Pour en savoir plus:

Le site de l’association Ferus

Adhérer à Férus

Devenir bénévole

PastoraLoup

Parole d’Ours

Sandie BELAIR

3 Responses to “Loup, y es-tu?”

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    Claire
    août 12th, 2011 at 8:32

    Très belle interview, j’avais un peu peur de lire des propos très subjectifs et triés pour ne garder que ceux qui vont dans le sens du loup, mais ce n’est pas du tout le cas, c’est un discours plus objectif et neutre que tout ce que j’ai pu lire sur cette problématique jusqu’à présent, un peu d’information pure, sans tenter de camoufler ou d’aggraver la situation, fait un bien fou.
    Par ailleurs votre association est une initiative originale et qui apporte enfin une solution concrète, c’est bien de dire « laissez vivre les loups, il y a des solutions pour les bergers, vous n’avez qu’à vous renseignez! » Mais c’est encore mieux de pouvoir dire « laissez le loup, il y a des solutions pour vous bergers, et les voici !!! ». Bref, j’adhère vraiment, merci…

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    association Le Klan du Loup
    août 13th, 2011 at 12:54

    Pour nous, association Le Klan du Loup, nous sommes opposée à TOUS les tirs à tuer.
    La populations lupines en France est très loin d’être stabilisée.

    Salutations lupines.

    association Le Klan du Loup

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    Baudouin de Menten
    août 18th, 2011 at 8:42

    « A l’occasion, je viendrai vous parler de ce travail fort pertinent auprès des plus jeunes enfants et de ce fameux loup dans la vie psychique! » Je me réjouis de lire cela. Attelez-vous à ce travail, pour défendre le loup, il est important de connaître le mythe.

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