Sandie Bélair octobre - 16 - 2020
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En 2014, nous avions proposé à Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, une interview afin qu’il puisse nous faire un état des lieux de la médiation animale en France et ailleurs. Voir: ici.

Acteur incontournable de notre pratique, la Fondation Sommer a une connaissance réelle du milieu. Elle nous apporte ainsi des données objectives et vérifiées ainsi qu’un regard global et neutre. Cela permet une prise de recul mais également d’éviter les idées reçues  sur une pratique qui se construit et se professionnalise.

Après 6 ans, il était temps de donner de nouveau la parole à la Fondation afin de faire un nouvel état des lieux! Merci à Boris Albrecht d’avoir accepté de jouer le jeu des questions/réponses. Bonne lecture

Pouvez-vous nous rappeler SVP les missions de votre Fondation?

La Fondation Adrienne et Pierre Sommer est une organisation à but non lucratif, privée et indépendante qui soutient le développement de la médiation animale grâce à de multiples champs d’interventions : initiatives de terrain, recherche, colloques, opérations de sensibilisation…

Elle est l’un des interlocuteurs privilégiés des professionnels, des politiques et du grand public en la matière.

Nous avons la chance de pouvoir fonctionner grâce à la dotation que nous ont laissé nos fondateurs. Nous ne faisons donc pas appel à la générosité du public. C’est un gage d’indépendance et de neutralité.

La Fondation développe également des actions de sensibilisation à la connaissance des animaux familiers et domestiques auprès des enfants et de leurs familles.

Nous le faisons à travers l’envoi d’outils gratuits dans les classes primaires ou lors de partenariats avec des établissements comme le Parc de la Villette (ateliers d’éducation canine, ferme pédagogique itinérante, médiation asine) ou la Cité des Sciences (expositions).

La Fondation est présidée par Louis Schweitzer.

 

Quels sont les prochains appels à projet de la Fondation ? Qui peut en être bénéficiaire : des associations, des établissements, des indépendants ?

La Fondation organise des appels à projets annuels depuis 2003.

En 17 ans, elle a soutenu plus de 850 projets de médiation animale pour un montant global de plus de 8 millions d’euros.

Nos appels d’offres sont réservés aux structures sanitaires, sociales, médico-sociales, villes, prisons.

Nos subventions permettent d’aider à :

  • De l’investissement (ex. création d’une ferme au sein d’un hôpital de jour, achat de matériel adapté),
  • Ou du fonctionnement : essentiellement des prestations de services (venues de chiens en institutions, déplacements d’un groupe d’enfants autistes en centre équestre…).

La Fondation ne prend pas en charge la formation en médiation animale, ni les charges salariales d’un établissement.

Depuis 2018, face à l’afflux massif de demandes (180 à 200 candidatures par appels à projets), nous avons décidé d’organiser plusieurs appels d’offres par an pour mieux répondre aux dossiers nous parvenant.

Ainsi, en 2020 nous avons organisé un appel à projets pour :

  • le secteur du handicap (188 candidatures et 88 initiatives retenus pour un montant global de 603 655 €)
  • et un autre pour l’aide à l’insertion (prisons, SDF…) et les apprentissages (crèches, écoles) (72 candidatures, 34 lauréats pour 248 275 €).
  • Nous avons également lancé un appel à projets (Trophées des fermes pédagogiques) pour aider au développement des fermes en milieu urbain.

Concernant les prestataires (association de médiation animale, centres équestre, micro-entreprises…)  Nous ne les accompagnons plus comme nous l’avons fait par le passé.

Plusieurs raisons à cela :

  • Nous accompagnons la demande des établissements et non l’offre de services. C’est un gage d’institutionnalisation et de pérennité de la médiation animale dans les structures,
  • Le nombre de demandes devenant croissant il nous devenait difficile de gérer l’afflux de dossiers avec des caractéristiques très différentes entre elles,
  • Certains prestataires avaient tendance à se revendiquer comme « labelisé » par la Fondation, ce qui n’est pas notre rôle.

Notons cependant, que lorsqu’un hôpital ou un Institut Médico Educatif par exemple bénéficie de notre aide, le ou la prestataire qui y intervient (la majorité des cas), en reçoit indirectement les dividendes pour les services qu’ils proposent.

 

En 2014, vous aviez accepté sur ce média, de faire un état des lieux de la médiation animale en France . Depuis, le panorama de cette pratique a changé. Quelle sont les principales évolutions selon vous ?

Ce qui évolue peu, c’est la répartition des animaux associés (cf. nos statistiques ci-dessous de l’appel à projets 2020 handicap – 188 candidatures).

Le cheval et le chien sont toujours les animaux de prédilections en médiation animale. Viennent ensuite les animaux de ferme et les ânes.

Notons que les lapins ou rongeurs sont souvent associés aux interventions avec les chiens et rarement de façon isolée. Il ne faut donc pas les considérer comme étant l’animal principal associé.

Ce qui évolue indiscutablement c’est la croissance et la reconnaissance importante des activités de médiation animale.

Plusieurs indices valident ce point de vue :

  • Le nombre de candidatures exponentiel lors de nos appels à projets le prouvent,
  • Des Agences Régionales de Santé (ARS) et Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) font plus confiance à ce type d’actions,
  • Plusieurs mutuelles commencent à se pencher sur des possibles prises en charge pour leurs adhérents (certaines le font déjà),
  • Des particuliers s’orientent vers des activités de médiation animale pour leur mieux-être personnel,
  • Et de plus en plus d’entreprises développent des stages « ressources humaines » pour leurs salariés à travers des activités en présence d’animaux, (équidés notamment).

On remarque aussi que des organismes comme la Fédération Française d’Equitation (3ème fédération sportive du pays en termes de licenciés) et l’Institut Français du Cheval et de l’Equitation (IFCE) se saisissent de la question de la médiation équine pour tenter de structurer ce domaine, (ce qui demande certains ajustements avec les organismes de formation en médiation équine ou en équithérapie présents depuis longtemps sur ce secteur).

C’est le signe d’une reconnaissance forte.

Le point d’achoppement reste cependant la capacité des acteurs à se fédérer.

La crise sanitaire que nous avons traversé et continuons de subir n’a fait que révéler, douloureusement, cette situation.

Plusieurs appels au secours de prestataires nous ont été adressés avant même le début du confinement pour les aider financièrement et porter la voix de la médiation animale auprès du gouvernement.

Tous vos lecteurs s’accorderont pour dire qu’il est difficile de porter un message sans un minimum d’organisation et fédération.

Mais à ce jour, si nous forçons le trait, on dénombre presqu’autant de fédérations que d’intervenants en médiation animale.

La Fondation ne peut porter la voix des acteurs à leur place, car notre rôle n’est pas là.

Nous pouvons promouvoir la médiation animale, financer les initiatives en institutions, mais pas faire à la place de…

Aux acteurs de terrains de se prendre en charge et d’accepter un minimum de compromis !

Le clivage « spécialisation VS métier » est- il toujours aussi prégnant ? Ou bien la tendance est plutôt au rassemblement des praticiens ?

Lors de mes échanges informels avec les acteurs de terrains, tous s’accordent pour un rassemblement des praticiens et l’appellent de leurs vœux, (comme évoqué à la question précédente).

Nous avons vu que la réalité est quelque peu différente.

Sur la question « spécialisation vs métier », les équiciens ont ouvert la voie de la certification professionnelle en 2014 et vous avez déjà traité de ce sujet dans votre blog à plusieurs reprises.

Il existe toujours un écueil. Cela est dû essentiellement à deux types d’enjeux :

  1. Financier d’abord, avec des organismes de formation en médiation animale ou zoothérapie qui valorisent leur cursus comme un métier pour se démarquer de leurs concurrents,
  2. Et secondairement, la reconnaissance forte et souhaitée d’une pratique légitime à temps complet.

La spécialisation incite plus à penser que les praticiens en médiation animale sont d’abord des professionnels de l’accompagnement humain (orthophoniste, éducateur, infirmière, psychologue…) ou de l’animal (vétérinaire, éthologue, éducateur canin, monitrice d’équitation…).

Ils/elles ajoutent une compétence supplémentaire à leur éventail de prise en charge, celle amenée en l’occurrence par l’animal.

La dénomination métier aurait tendance à éluder cet aspect de formation de base pour ne prendre en charge les bénéficiaires qu’à travers cette modalité unique.

Enfin quelle que soit l’avenir de la médiation animale, spécialisation ou métier, il est bon de rappeler que :

  • L’intitulé métier correspond à une démarche longue d’enregistrement d’une certification professionnelle. Elle fait intervenir des commissions paritaires (employeurs et salariés), les branches administratives des thématiques concernées, le ministère du travail. Là encore, pas d’harmonisation sur le terrain de la médiation animale. Certains organismes ont fait des demandes de certification professionnelle (obtenues ou non), certaines sont en cours. La tendance est à la multiplication des demandes (ex. médiation canine et personnes âgées, médiation animale et prison…), ce qui « brouille d’autant plus le message ».

Lors de notre dernier échange avec le ministère de la Santé, nous étions surpris de part et d’autre que ce dernier ne soit pas informé de ces démarches de certifications en médiation animale.

  • Qu’un métier ne résoudra pas la question du salaire de l’intervenant en médiation animale. Il y aura toujours une démarche entrepreneuriale à avoir pour celles et ceux qui souhaitent en faire leur activité principale.

Si la fondation n’est pas contre l’idée d’un métier, elle pense la médiation animale plus comme une spécialisation qu’un métier.

Qu’en est-il des formations ? Le nombre continue-t-il de croître ? Sont-elles mieux référencées ?

Elles augmentent avec le nombre des prestataires. Nombre d’entre eux complètent leur activité d’intervenant pour accroître leur trésorerie sur le plan comptable avec une offre de formation.

Nous avions recensé une quarantaine de formations en 2012. Des nouvelles naissent, d’autres disparaissent.

En 2021, pour l’année de nos 50 ans, nous avons prévu de dresser un état des lieux des formations en médiation animale. Cela permettra d’éclaircir le paysage.

Enfin, j’attire l’attention de vos lecteurs : la Fondation de par sa neutralité ne se prononce jamais sur la qualité de telle ou telle formation.

La France, ces dernières années, n’a pas à rougir de la qualité de ses recherches dans le domaine. L’avenir sera-t-il propice à de nouvelles recherches et notamment sur les effets de cette pratique et sur le bien-être animal ? Malgré un contexte social et économique difficile, trouveront-elles selon vous un intérêt auprès d’éventuels financeurs ?

Les acteurs de terrains attendent beaucoup de la recherche – tout comme les différents médias.

La quête de la preuve universelle de la médiation animale bénéfique pour tous les bénéficiaires reste ancrée dans l’imaginaire collectif.

Pourtant, la recherche ne peut étudier que des spécificités et rarement une globalité (ex. modification du comportement d’enfants autistes en présence d’animaux ; bien-être des chevaux en médiation équine, etc.).

Cela prend du temps (3 ans minimum pour réaliser une étude sérieuse) et donc coûte cher (salaires de chercheurs, frais de publications dans des revues spécialisées, participations à des colloques).

De plus, les disciplines d’études de médiation animale sont multiples : éthologie, psychologie, sociologie, médecine humaine et animale… ce qui apporte une plus grande richesse de résultats mais également une plus grande complexité de mise en œuvre et restitution.

Cependant, il est tout à fait exact que la France se situe dans le groupe de tête internationalement des recherches en médiation animale.

Une nouvelle génération de chercheurs que nous avons accompagné à leurs débuts sont désormais en poste dans des laboratoires importants (Marine Grandgeorge au CNRS de Rennes 1, Jérôme Michalon au CNRS de Lyon, Christophe Blanchard à l’Université de Paris 13). Ils peuvent développer plus de recherches sur la médiation animale. C’est très positif.

De plus, la Fondation poursuit l’accompagnement de plusieurs doctorants pour renforcer la crédibilité des actions de terrains (sur la médiation animale en prison, dans les établissements spécialisés éducatifs et pédagogiques…) et a passé un partenariat à l’étranger avec l’Université de Denver pour observer le climat en classe (en présence ou pas d’animaux).

D’autres financeurs sont sensibles à la recherche (petfooders notamment) mais leurs délais de communication ne sont pas toujours compatibles avec la recherche. C’est pourquoi, ils élaborent et financent plus volontiers des études statistiques ou d’opinions (plus rapides). Cela participe positivement à la visibilité du secteur.

Est-ce qu’il est à noter des nouveautés au niveau européen et international ?

Oui, indiscutablement. Pas toujours facile à identifier mais de nombreuses initiatives se développent en Europe au bénéfice de publics divers en difficulté. En  Écosse, un programme  aide à la réinsertion de jeunes incarcérés. Ceux-ci sont amenés à éduquer des chiens de refuge pour faciliter leur adoption.

Aujourd’hui le secteur se penche de plus en plus sur la prise en charge des victimes (programme de chien d’assistance judiciaire que nous avons initié) ou celle des personnes atteintes de syndromes post-traumatiques (militaires notamment) avec des travaux en cours aux USA.

Notons que ces développements sont possibles grâce aux initiatives qui ont fait leurs preuves par le passé (comme les interventions en maisons de retraite ou en milieu carcéral par exemple). Cela permet de lever des freins plus rapidement.

Que conseilleriez-vous à une personne qui souhaite devenir praticien/intervenant en médiation animale ?

Se renseigner avant toute chose !

Beaucoup de personnes pensent que la médiation animale est une nouveauté et que rien n’a été réalisé par le passé. Ce qui est faux.

Il ne faut donc pas hésiter à investiguer cet univers avant de se lancer dans l’aventure de la médiation animale.

De nombreux sites, réseaux sociaux, sources documentaires, conférences, personnes ressources ou groupes de réflexion existent.

Il faut être également clair dans son positionnement professionnel. Si l’on veut aider une ou plusieurs personnes en difficultés sociales, en situation de handicap, malades, ce n’est pas pour résoudre ses problèmes personnels.

Ne pas se leurrer sur le pouvoir des animaux également. Ce sont des alliés extraordinaires mais ils ne sont pas magiciens.

Enfin, il faut impérativement avoir une connaissance fine des animaux avec lesquels on travaille et ne pas hésiter à faire appel à des compétences extérieures régulièrement (vétérinaires, éthologues) en ce qui les concerne.

Nous leur demandons beaucoup lors des interventions, nous leur devons le bien-être – sans conditions.

Sandie Bélair

Pour en savoir +++

Equicien est un métier reconnu ! A qui le tour maintenant?

Six questions à trois organismes de formation en médiation équine!

Interview de Carole YVON, Cheval et Diversité (FFE) suite à l’annonce de la formation Médiation Avec les Equidés (MAE)

Interview de Julie Martouzet, présidente du Syndicat Interprofessionnel des Praticiens en Médiation Équine (SIPME)

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La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

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