Sandie Bélair juillet - 9 - 2015
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Il est le temps de se remettre un peu à l’écriture après cette belle aventure colloque! Un peu de clinique pour l’occasion… Alors que ma prise en charge avec un enfant, que nous appellerons Tom, se termine après deux ans, je souhaitais partager un peu avec vous des éléments cliniques de mon travail. Je vous livre quelques bribes du 1er bilan qui date maintenant de plusieurs mois….

Je profite de ce billet pour vous préciser de nouveau que vous pouvez aussi partager vos vignettes cliniques sur ce média… n’hésitez pas à nous les envoyer: association@resilienfance.org

 


 

Tom a 10 ans, il présente un trouble de la personnalité et est accueilli en hôpital de jour. Il réside dans un lieu de vie et voit ses parents dans le cadre de rencontres médiatisées.

Tom bénéficie d’un atelier thérapeutique avec le chien toutes les semaines. Le support de mon travail est la singularité de la rencontre et ce qui se joue dans cet espace. Les objectifs étaient, dans le cadre de cette prise en charge, de permettre à Tom de sortir de son « agir » et de lui donner la possibilité de prendre du recul et des repères par rapport aux êtres et aux choses.

 

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© Photo Résilienfance

 

D’une manière générale, nous notons, dans le comportement de Tom: un débordement pulsionnel, une instabilité psychomotrice au détriment de la symbolisation, du langage et une grande insécurité affective.
L’espace de symbolisation et de création est donc réduit et envahi par une participation dominante du corps; Tom papillonne entre différentes situations de jeu sans pouvoir s’inscrire réellement dans une activité avec le chien. Les mécanismes de défense tels que le clivage, la projection, l’introjection, le déni et le contrôle omnipotent sont à l’œuvre.

Au cours des séances, Tom présente une forte demande affective à l’égard de l’animal. Les comportements et réactions de Dubaï peuvent être interprétés par Tom comme une adhésion à cette quête et traduisent une solidité de l’animal face à l’agressivité. En effet, le chien :
– accepte les contacts corporels ou les cris sans réaction négative et insécurisante mais il pose et impose des limites claires. Ainsi, l’animal laisse ouverte « la porte d’accès à son corps-refuge », rassure par son « armature »/sa force musculaire mais il fait comprendre qu’il n’est pas un objet que l’on malmène et qu’il est disponible pour des interactions tranquilles ;
– présente des élans à l‘interaction, des comportements affiliatifs et des interactions les yeux dans les yeux dès que l’enfant se « pose » ;
– peut déployer des comportements ritualisés qui permettent à l’enfant de découvrir et de vivre des actes et interactions symboliques et donc d’accéder à un univers de signes qui lui échappent lorsqu’il s’engage dans le « mouvement pour le mouvement ».

A chaque séance, les retrouvailles sont ritualisées. Tom se cache à l’entrée et attend que l’animal vienne le chercher, « le trouver ». Dubaï répond différemment à ce comportement en fonction de ce qu’il perçoit de Tom (comportement, geste…) : soit il va vers lui en remuant la queue, soit il reste couché et il attend. La première situation est gratifiante et réconfortante pour Tom qui trouve une réponse à sa quête affective. Tout se passe comme s’il se sentait ainsi « adopté » par l’animal et accepté tel qu’il est. L’autre répond à ses attentes. Dans la seconde situation, il supporte difficilement cette réaction et a recours aux croquettes pour « attirer » l’animal et ainsi le maîtriser.

D’autre part, Tom demande à plusieurs reprises des « bisous » du chien, des câlins. Là encore, le chien peut répondre spontanément à ses demandes. Tom a alors un comportement approprié et se sent privilégié. Il peut rester quelques minutes au contact du chien. Ce sont de rares moments d’apaisement. Toutefois, parfois, il semble se défendre de ce rapprochement et nous avons alors l’impression qu’il se sent envahi et submergé par cet autre, par ce qu’il ressent et par des angoisses. Il peut alors repousser le chien et être de nouveau dans l’agitation avec des gestes brusques à l’égard de l’animal ou des adultes.

 

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© Photo Résilienfance

 

Lorsque le chien ne répond pas, Tom est de nouveau agité et a recours à des déplacements « erratiques » mais également des gestes et des propos non appropriés. Il est difficile pour Tom d’entendre les mots que l’on pose ; la parole semble parfois vécue de manière persécutive. Il est de nouveau dans l’insécurité et l’angoisse ; il souhaite recourir aux « croquettes » pour obtenir ce qu’il veut: difficulté à accepter cet autre non gratifiant mais aussi cet autre qui a sa subjectivité, ses limites, sa sensibilité et qui n’est pas toujours disponible pour les câlins. L’animal pose surtout une limite et n’adhère pas aux « gesticulations » et à l’agressivité comportementale.

Au cours de ces différentes situations mises en jeu par Tom, l’animal est clivé en « bon » et « mauvais » objet, il gratifie ou il frustre. Tom projette alors sur lui son amour ou sa haine (agressivité). Face à la frustration et à l’angoisse qu’elle procure (introjection du « mauvais » objet), il exerce un contrôle omnipotent sur le chien par l’introduction des croquettes (l’animal tenté par les gourmandises répond systématiquement et rapidement aux demandes de Tom). La réalité de l’objet persécuteur est refusée.
Cela peut aussi signifier à Tom qu’il n’est pas « assez bon » pour recevoir l’intérêt et l’affection de l’autre.
D’autre part, nous pouvons également faire l’hypothèse que pour Tom être en relation, être en lien semble passer par ces offrandes et semble s’inscrire dans un mode relationnel familier. Nous notons, en effet, que Tom fait régulièrement allusion aux rencontres avec sa mère et à la quantité importante de bonbons qu’elle lui offre. Tom parle également du lieu où elle vit, s’il est prévu qu’il la voit le jour de l’atelier ou dans la semaine… Il interroge ma relation à l’animal : « tu es la maman de Dubaï ? ». La question du soin et de l’attention portés à l’animal l’intéresse et le mobilise quelques minutes dans un échange adapté et posé. Dans ces moments, il peut imiter Dubaï et semble vouloir être le chien (il veut manger des aliments destinés au chien, fait semblant de boire dans la gamelle, marche à quatre pattes…).

Tom semble être à la recherche d’un « bon » objet à introjecter (identification introjective), un bon objet qui prendrait soin de lui, le rassurerait. Il vient questionner cette part de « bon objet » et la possibilité de s’y identifier mais aussi probablement la solidité et la continuité du lien.
Toutefois, on peut imaginer que la différenciation Moi/Non-Moi est fragile chez Tom et que le fait de vouloir être le chien peut traduire une confusion. Il s’agit donc de permettre à l’enfant de percevoir que le cadre thérapeutique est protecteur car il empêche la confusion.

 

Conclusion :
L’appareil psychique à penser de Tom est perméable et peu délimité. Son psychisme est donc envahi de manière quasi-permanente. La présence de l’animal, être vivant qui autorise/gratifie et refuse/frustre, mobilise les affects, les angoisses archaïques et indicibles. Il y a donc nécessité pour Tom d’évacuer dans l’immédiat tout affect, élément menaçant au risque de s’effondrer. Cet espace nécessite donc une contenance et un travail thérapeutique autour de la construction de l’enveloppe thérapeutique, une enveloppe interne (favorisait par l’ensemble des prises en charge de Tom) qui viendrait remplacer l’enveloppe de protection pathologique. Ainsi, le travail avec le chien permet d’introjecter, d’incorporer une part de cette enveloppe interne. Elle permettra à l’enfant de développer une activité mentale plus construite et de lutter contre les angoisses. Un travail conjoint avec son éducatrice est donc essentiel.
Tom montre de nombreuses ressources et répètent les mêmes « scénarios » et fantasmes d’une séance à l’autre. Il s’agit d’utiliser d’une façon thérapeutique ce que l’enfant met à notre disposition dans ses répétitions. Ainsi, le travail est axé sur le « faire parler les choses » : donner du sens à ce qui se joue, le commenter puis l’interpréter en le restituant à Tom sous la forme d’un jeu interprétatif avec le chien. La dimension transférentielle est donc exploitée et la verbalisation opérante. Toutefois, il faut être vigilant au fait que la parole ne doit pas vécue comme persécutive et envahissante.

 


 

Et vous, vous avez quelques situations cliniques à partager? N’hésitez pas…

Sandie BELAIR

+++ Sur le même thème:

Histoires courtes en Thérapies avec le Chien # 1: Arthur!

+++ Et avec d’autres animaux d’accordage:

Les histoires courtes en thérapies avec le cheval

Les histoires courtes en thérapies avec l’âne

2 Responses to “Histoires courtes en Thérapies avec le Chien # 2: Tom!”

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    Isabelle S-R
    juillet 10th, 2015 at 19:43

    Bel article sur la fonction contenante en médiation animale.

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    Sandie Bélair
    novembre 25th, 2015 at 16:23

    Merci Isabelle!

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La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

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