Sandra Massy janvier - 16 - 2019
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Pour faire suite à l’article sur le deuil chez le thérapeute avec le cheval ou le médiateur en relation animale, je vais explorer l’autre versant, à savoir le deuil chez les animaux et leur attitude face à leur propre finitude.

En effet, nous commençons à entrevoir les mondes intérieurs des animaux et la science suit en étudiant le deuil chez les animaux.

C’est un peu triste, en 2018, de voir que les scientifiques semblent étonnés de découvrir et de documenter des observations de deuil chez différents animaux. Chez les grands singes, bien sûr, qui sont les plus proches de l’homme, mais chez d’autres espèces aussi.

Les conditions d’études aussi sont difficiles. « Les spécialistes du comportement animal doivent se trouver au bon endroit, au bon moment pour en être témoin et planifier une étude physiologique portant sur eux. (…) Découvrir l’absence de deuil chez les animaux est aussi important que de situer sa présence. » B.J. King p.115-116 in Révolutions animales.

Mais finalement on trouve encore relativement peu d’articles sur le sujet. Et chez les animaux domestiques, c’est encore plus rare.

Nous (les compagnons de vie d’animaux, divers et variés) sommes témoins régulièrement de manifestation d’émotions chez nos compagnons. Ils ressentent et manifestent (de manière individuelle bien sûr) leurs émotions face aux séparations, aux retrouvailles, entre eux ou avec nous…

Je me rappelle avoir vu un cheval tellement heureux quand j’avais mis mon âne Charly chez lui en pension quelques semaines, sa tristesse quand Charly est reparti mais surtout sa joie, quelques années après, lorsqu’il nous a rendu visite et qu’il a retrouvé Charly.

On peut aussi penser à tous les sevrages que nous faisons, lorsque nous distribuons les chiots ou les chatons de nos animaux. Chacun va manifester différemment son ressenti face à cette séparation et parfois, ces pertes peuvent être associées à des deuils (avec les phases dudit processus, comme le choc, la douleur, la dépression/tristesse, et l’acceptation).

Idem pour les juvéniles, c’est leur première séparation et elle peut marquer toute leur vie. Je repense là à plusieurs chatons accueillis tellement petits qu’ils n’ont jamais vraiment fait la différence entre les hommes et leur famille féline… Cela fait des chats adultes proches de l’homme, qui souvent n’ont pas tous les codes félins non plus, et on peut questionner le fait de les avoir privés des apprentissages précoces nécessaire à leur vie de chat… Je pense que l’éthologie fera peut-être ces prochaines années des études sur les différents types d’attachement chez les animaux domestiques, en fonction de leur mode d’élevage et de leur sevrage.

 

© Photo Sandra Massy

 

Dans les pratiques de médiation avec les animaux, ce sont des aspects importants qui vont avoir un impact sur l’animal et sur sa manière d’être et de réagir, sur ce qu’il va renvoyer aux patients. Bien sûr qu’il est plus facile de travailler avec des animaux élevés dans le respect des codes de leur espèce, sevrés au « bon » moment, bien éduqués et qui vivent dans des conditions adaptées. Mais honnêtement, qui travaille toujours dans ces conditions idéales ? Travailler avec des animaux « imparfaits » permet aussi à certains patients de pouvoir mieux s’accorder et d’entrer en résonance avec leur propre histoire de vie. Il faut bien sûr trouver le bon équilibre et ne pas faire travailler des animaux qui pourraient être dangereux ou en souffrance, si leur histoire de vie avec les hommes n’a pas toujours été rose.

On peut certainement, comme chez l’Homme, se dire que l’histoire personnelle influence le vécu lors de deuils. Pour certains animaux, c’est un déchirement de perdre un compagnon de vie et pour d’autres, cela va relativement bien se passer, voir passer inaperçu.

Peut-on dire que cela ne les affecte pas ? Je ne pense pas que l’on peut l’affirmer, mais je pense que certains départs sont mieux préparés que d’autres… En cas d’accident, par exemple, on peut voir des animaux rester face à un animal décédé, comme s’ils ne comprenaient pas. Voici un exemple : https://positivr.fr/poneys-deuil-new-forest-angleterre/ où un troupeau de poney veille l’un des leurs décédé accidentellement. Et lors de vieillesse de l’un des leurs, on peut voir des chevaux en paix avec le départ de l’un des leurs.

Dans mon expérience personnelle, suite aux deux départs vécus dans mon troupeau l’hiver passé, j’ai été témoin de plusieurs comportements. Certains ont veillé un long moment leur camarade, d’autres ont été plus loin, comme pour lui laisser de la place mais chacun avait l’air de très bien saisir ce qui se passait. Après la disparition des corps, la vie a repris son cours et chacun a dû se retrouver une place dans le groupe, de plus en plus restreint. Le vieil âne qui s’est retrouvé sans sa compagne nous a appelé plusieurs jours, il a eu besoin d’une dose supplémentaire de câlins, puis il a renégocié sa place avec le mulet et la jument avec lesquels il vit.

On peut donc logiquement se dire que tout individu, homme et animal, va vivre son processus de deuil de manière personnelle, en fonction de son histoire de vie et bien entendu de la relation qu’il avait tissé avec la personne disparue (homme ou animal…).

Je ne pense pas que tenter de créer des catégories pour définir qui a accès au deuil soit vraiment pertinent, vu que l’on découvre chaque jour que certaines espèces ont des capacités jusque-là insoupçonnées… mêmes les plantes et les champignons étonnent chaque jour les scientifiques et le public voit fleurir des livres sur l’intelligence des autres êtres vivants (plantes et animaux). Même les araignées sont capables de prouesses cognitives et cela fait frémir l’arachnophobe que je suis.

Cela nous amène à la question suivante : les animaux ont-ils conscience de leur propre finitude ? se préparent-ils à partir ? Se disent-ils au revoir ?

 

© Photo Sandra Massy

 

Pour avoir été témoin de chevaux qui veillent leur compagnon en train de s’éteindre, puis s’éloigner, l’air serein, je pense pouvoir dire qu’ils se disent au revoir quand ils en ont la possibilité. Pour avoir dû aussi en éloigner du troupeau pour cause d’hospitalisation, j’ai vu toute la hiérarchie vaciller, avec l’absence d’un animal, alors que cela s’est fait brutalement et en urgence.

Je pense aussi, mais là on rejoint le domaine de mes croyances personnelles, que chaque être vivant sent et lâche au moment de mourir, animaux comme humains. Sauf peut-être en cas d’accident, où là tout est accéléré. Je postule donc qu’en cas de départ pour cause de vieillesse ou de maladie, les animaux ont conscience de leur fin imminente. Peut-être une fois aura-t-on la possibilité d’y avoir accès. Dans son ouvrage de 2018 « Paroles d’animaux » K. Lou Matignon explore le langage non articulé des animaux, au travers des dernières expériences scientifiques. « Si les origines de l’élocution humaine nécessitent de plus amples recherches, les études sur les aptitudes langagières des animaux se multiplient actuellement et leurs résultats sont stupéfiants. Elles montrent non seulement que les animaux communiquent bel et bien entre eux mais qu’il existe aussi, entre leur langage et le nôtre, une parenté bien plus étroite qu’on ne le pensait. » p.29

Dans cet ouvrage passionnant sur l’exploration des vécus des animaux et des manières dont ils les communiquent, K. Lou Matignon cite Florence Burgat, philosophe, en page 149. Dans son ouvrage « la voix des animaux » F. Burgat cite Hegel qui « associe au libre déplacement de l’animal le fait qu’il ait une voix. Dans cette voix s’exprime dans l’espace et dans le temps une subjectivité libre. (…) L’animal s’expose dans sa voix, et seul un être sentant peut exprimer l’intériorité de ses sentiments. Parce qu’elle exprime l’intériorité du Soi, la voix se fait encore entendre lorsque l’animal succombe sous les coups d’une mort violente. Elle exprime alors (…) le moment de la suppression et l’anéantissement de son Soi, le sentiment qu’a l’animal de sa propre disparition. »

Quand j’ai eu la chance d’accompagner des animaux lors de leurs derniers instants, j’y ai souvent vu un reflet de leur manière de vivre… ils sont partis chacun à leur manière. Certains avec un grand calme, d’autres en luttant et d’autres encore avec soulagement alors qu’il m’avait fallu du temps pour me décider à les accompagner.

Donc si on se dit que nos animaux ont accès à une représentation de leur propre fin et qu’ils font face à un processus de deuil lorsqu’un proche décède, je pense que cela modifie la façon dont nous regardons, comprenons et dont nous organisons nos vies et celles de nos compagnons de route à poils, à plumes et à écailles.

Cela devrait nous amener à penser la manière dont nous les laissons entrer dans nos vie (souvent nous les achetons…), la manière dont nous organisons nos vies et les leurs et ce jusqu’au seuil de la mort. Cela devrait nous pousser à les détenir dans les meilleures conditions possibles, en respectant au mieux les besoins de chaque espèce. Et cela nous demande chaque jour d’être attentifs à ce qu’ils vivent en s’efforçant de les accompagner au mieux et ce dans chaque étape de leur vie à nos côtés, d’autant plus s’ils sont nos collègues de travail.

Je pense que cela fait de nous de meilleures personnes et des thérapeutes plus à même d’accompagner autrui dans les différentes étapes du cycle de la vie.

Ouvrages cités :

Lou Matignon, K. (2018). Paroles d’animaux. Ecouter ce qu’ils ont à nous dire. Paris Editons La découverte /ARTE Editions.

King, B.J (2016). Le respect des morts. in K. Lou Matignon (Dir.), Révolutions Animales, comment les animaux sont devenus intelligents.(pp.113-123). Paris : Arte Editions/Editions les liens qui libèrent.

Sandra MASSY

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3 Responses to “Deuil chez les animaux et l’animal face à sa propre finitude”

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    ISABELLE VALENDUC
    janvier 17th, 2019 at 12:20

    Bonjour, dans un ordre d’idée semblable, je pense aussi que savoir communiquer suffisammment bien avec ses animaux de médiation, car c’est grâce à eux que nous pouvons exercer cette belle activité, est essentiel. Vont ils bien? aiment ils la mediation? de quoi ont ils besoin pour evacuer tout ce qu’ils recupèrent pendant les séances? j’ai découvert la communication animale il y a peu et j’en suis ravie et soulagée…je pense savoir commment va mon chien, ce qui le derange ou pas…j’ai pu vérifier des choses que je supposais…c’est un très joli chemin à explorer!

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    Sandra Massy
    janvier 18th, 2019 at 21:27

    Bonjour Isabelle,
    Merci pour votre commentaire. Effectivement, il existe le canal de la communication animale, que Karin Lou Matignon n’explore pas du tout dans son ouvrage, préférant s’appuyer sur les dernières recherches scientifiques. Chaque personne vivant et travaillant avec les animaux est amenée à « lire » son animal, afin de mieux le comprendre et d’avoir accès à un bout de son monde intérieur… La communication animale peut être un moyen d’entrer dans le monde de l’animal, car les animaux de compagnie vivent dans notre monde. Essayons de vivre dans un monde partagé…

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    Yasmine Debarge
    janvier 22nd, 2019 at 11:47

    Merci Sandra pour ce très bel article, dans la continuité du précédent et qui génère selon moi encore plus d’émotions. Gérer son deuil est une chose, mais accompagner celui de proches peut être une tâche complexe, d’autant plus lorsqu’elle concerne des proches qui ne s’expriment pas comme nous. Bravo donc pour avoir su décrire avec finesse toute cette complexité !

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