Jean-Claude Barrey novembre - 22 - 2013
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Il faut obtenir des résultats…, les résultats sont là… ou pas là…, les résultats sont bons… ou mauvais…, autant d’expressions utilisant le mot « résultat » dérivé du bas-latin résultatum, signifiant « effet qui s’ensuit d’un fait ou d’une action ». Cet effet est donc souhaité, attendu en tant qu’objet (ob-jicere, objectum, ce qui est placé devant, ce mot ayant dès le moyen-âge servi à désigner ce qui affecte l’un ou plusieurs des cinq sens).

En biologie du comportement, on étudie cette « culture du résultat » en utilisant la grille d’analyse que constitue le schéma de Craig-Lorenz : [1] une pulsion (déshinibition d’une fonction finalisée) entraîne [2] un comportement d’appétence (recherche des solutions possibles pour satisfaire la pulsion). Cette exploration peut aboutir à [3] la rencontre avec une configuration sensorielle locale permettant la réalisation de la pulsion (Mécanisme Inné de Déclenchement, MID). Ce MID permet à [4] l’acte satisfaisant la pulsion de se concrétiser (acte consommatoire). L’ensemble peut être décliné d’abord à partir du cerveau primitif (pulsion), puis « affectivé » au niveau du système limbique (désir), et enfin « raisonné » au niveau cortical (projet). Lorsqu’il s’agit d’un individu, celui-ci éprouvera une « envie » correspondant à son profil comportemental propre. Il déroulera un comportement d’appétence organisé selon son vécu, ses compétences et son état présent. L’acte consommatoire, s’il se produit, sera très fortement affecté par ce profil individuel, unique dans son équilibre propre, et il aboutira à l’activation du circuit mésolimbique (le « circuit de la récompense ») et à la sensation associée qui peut aller, selon les circonstances et le tempérament du sujet, de la petite satisfaction au plaisir orgasmique. Si l’acte consommatoire ne se produit pas (inhibition contrainte), c’est le système péri-ventriculaire (P.V.S) où circuit de la frustration/punition qui s’active, entraînant une sensation de malaise.

 

 

Par exemple, chaque individu éprouve le besoin d’un habitat couvert, souvenir inconscient de notre origine de primate arboricole. Ce besoin primaire contribue à satisfaire d’autres fonctions comme la sécurité pour l’individu et son groupe familial, le stockage des moyens de subsistance, un lieu sûr permettant la récupération. Mais selon sa situation géographique, son profil personnel, sa situation socio-économique, son habitat pourra être une tente en milieu désertique, une paillote, un igloo arctique, une yourte mongole, un bateau, une maison paysanne, un château, un appartement dans un immeuble citadin ou dans un building d’une mégapole. Tout cela correspondant à la même fonction finalisée primaire activée.

Au-delà de cet exemple, en prenant en compte l’ensemble des fonctions finalisées (hors des situations de crise), l’individu arrivera généralement à survivre, plus ou moins bien inséré dans son milieu, et sans conséquences pathologiques particulières, à condition qu’il soit libre de ses choix et de ses actes sans se heurter à ceux des autres. Il ne doit pas être en inhibition de l’action cohérente imposée de l’extérieur. Il serait alors en situation contrainte à laquelle il trouverait peut-être une solution partielle en forme d’esquive, mais sans pouvoir éviter un stress ayant un coût physiologique. Les séquelles par altération des cellules du rhinencéphale, baisse des défenses immunitaires, troubles circulatoires ou digestifs, réactions allergiques, etc…sont inévitables. Il ne faut pas confondre cette esquive, ce moyen de supporter la contrainte, qui fait partie de la culture des résultats, avec une adaptation-ajustement qui, elle, se ferait sans dégradation, dans la culture des moyens, avec résultats à plus long terme.

La situation est plus complexe lorsqu’il s’agit de groupes d’individus dans lesquels des niveaux hiérarchiques d’organisation (notamment dans les possibilités d’accès aux biens de consommation) tendront à s’installer. Poussés par des mécanismes compétitifs, les sujets exploreront différentes stratégies (différents bassins attracteurs , plus ou moins « profonds ») représentant diverses possibilités d’obtenir les objets ou les situations convoités. La compétition nécessitant des résultats rapides, les sujets s’arrêteront dès qu’il rencontreront un « bassin », même peu profond (Gell-Man, 1995), c’est- à- dire permettant d’arriver vite, même approximativement, au résultat souhaité . Le sujet égocentré, en situation compétitive, ne tiendra pas compte du ressenti émotionnel et des processus neurophysiologiques de ses partenaires , ce qui pourraient aboutir à explorer d’autres bassins attracteurs plus profonds, représentant une contrainte moindre, ou même une adaptation/ajustement.

C’est le fondement du behaviorisme, ou comportementalisme, mis en vogue par Watson (1913) qui souhaitait se démarquer de la psychologie, héritière à cette époque de la philosophie. Pour Watson, très influencé par Pavlov, le comportementalisme ne devait pas être une simple théorie, mais un moyen d’assurer « le contrôle et la prévision du comportement ». Il soutenait que la psychologie devait être pertinente dans la vie réelle, aussi, après avoir été exclu de l’Université, il se reconvertit dans le commerce où il fut le premier à créer la plupart des techniques utilisées encore aujourd’hui dans la publicité.

Dès 1929, Skinner s’éloigna de la réflexologie pavlovienne et s’attacha à montrer que les « renforcements » obtenus par la réussite (ou l’échec) d’un comportement opératoire agissant sur l’environnement incitaient le sujet à reproduire (ou éviter) ce comportement. Autrement dit, un comportement peut être renforcé (ou inhibé) par ses conséquences. Il contrôlait les récompenses et les punitions émises par l’environnement en réponse au comportement opérant du sujet, et dirigeait ainsi le « façonnement » comportemental de n’importe quel animal ou humain, jusqu’à pouvoir « façonner » des patients pathologiques.

 

La boîte à Skinner

Mais le behaviorisme crut pouvoir expliquer tous les comportements par des apprentissages simples dont la combinaison permettait d’expliquer tout le reste, sans se soucier de ce qui se passe à l’intérieur, considéré comme une boite noire. Ce courant atteignait ses limites, et les survivants actuels sont résolument pragmatiques, sans poursuivre toutefois de but explicatif. Un courant néo-behaviouriste tente de dépasser ces limites, notamment avec Rolls, en proposant des mécanismes de renforcement conditionnel des synapses.

Une voie parallèle va être explorée par leurs héritiers, les psychologues cognitivistes dont la méthodologie, inspirée par les progrès de l’informatique, sera définie par Ulrie Neisser en 1967: il s’agit d’élaborer des modèles sur tous les processus par lesquels les entrées sensorielles seront transformées, réduites, élaborées, stockées, rappelées et utilisées. Malgré son succès et sa richesse très objectiviste, cette approche achoppe sur sa « désincarnation ». En effet, le corps est réduit à des schémas fonctionnels, et les émotions totalement absentes, comme le soulignent J.D.Vincent dans la préface, et J.Ledoux dans « le cerveau des émotions ». Vincent va jusqu’à dire que « l’obsession objectiviste des sciences cognitives transforme le cerveau en bazar et le sujet en boutiquier ».

En fonction de la pression sociale, les individus vont soit coopérer (allocentrisme), soit, si la pression est trop forte, s’opposer dans un retour à l’égocentrisme. Piaget remarque « De même que l’intelligence pratique recherche la réussite avant la vérité, la pensée égocentrique tend à la réalisation et non pas à l’objectivité » .

Nous sommes donc encore dans la « culture du résultat » et non dans celle de « la culture des moyens qui peuvent mener à un résultat ».

En reprenant la boutade de H. Mittelstaedt, sur le fait de comprendre le fonctionnement d’un distributeur automatique en ne connaissant que le type de cartes bancaires qu’il accepte et le type de tickets que l’on peut obtenir, il serait utile de savoir comment il a été conçu, avec quelle « matière grise » et quelle dépenses d’énergie, quels apports de matière extérieure il consomme, et enfin, qui l’utilise, avec quelle motivation sous-tendue par quels besoins et quelles émotions associées. Enfin, pour être plus complet, il faudrait se préoccuper du nombre potentiel d’utilisateurs, de leur inter-relations positives (gain de temps, entre-aide au fonctionnement…) ou négatives (pannes, queues aux heures de pointes, suppression d’emplois, etc…).

Mais pour dépasser franchement la culture des résultats pour entrer dans celle des moyens, il faudrait aussi se demander quelle est l’utilité du distributeur dans le contexte de sa création et dans le contexte présent. Quelle sera sa durée de vie, sa fréquence de pannes avec quelles conséquences, son coût d’entretien et de remplacement. Qu’adviendrait-il en cas de panne d’électricité ou d’informatique? Le système,dans sa globalité est-il assez redondant et assez souple pour contrebalancer ses fragilités? On peut se demander de quelle chaîne économique et industrielle le distributeur est issu, et quelles seraient les conséquences de l’achat ou du non-achat de ce distributeur.

Enfin, déshumaniser la distribution de tickets, c’est mettre d’office tous les utilisateurs à égalité alors que chacun se perçoit comme unique. Quel sera le résultat à long terme, face au résultat immédiat?

En résumé, tout objet, qu’il soit matériel, comportemental ou même virtuel, s’insère dans l’équivalent d’une chaîne métabolique complexe, extrêmement ramifiée et coupée de nombreuses boucles de régulation en retour. Cet objet constitue un des maillons dont la présence ou l’absence peut modifier le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne.

Ce maillon occupe une place déterminée où il peut recevoir une certaine quantité d’énergie, mais doit en restituer une certaine part, généralement transformée, ce qui participe à l’équilibre général du système. Mais il existe parfois des « maillons déviants », qui privilégient le développement de leur propre structure, en « leurrant » le système sur leur insertion au profit de l’ensemble. Comme le dit Schatz « De tels mutants asociaux font passer leur bien être avant celui de la communauté, c’est pourquoi ils ont parfois du succès à court terme. Mais ils menacent à long terme la continuité de leur espèce, laquelle repose sur un équilibre entre donner et recevoir. Ces escrocs égocentriques ne peuvent être la base d’une communauté stable. » Il est clair qu’une communauté stable dans la durée ne peut s’appuyer que sur de l’empathie, c’est à dire sur l’allocentrisme.

Et c’est là toute la différence entre la « culture des résultats » à court terme, et la « culture des moyens » aboutissant à un résultat à long terme.

Jean-Claude BARREY

POUR EN SAVOIR PLUS:

+++ Un stage d’éthologie équine aura lieu à la Station des Metz dans dans l’Yonne du 24 au 28 février 2014

Contact: SRPM – JC Barrey: Srplesmetz@aol.com ou 03 86 45 51 19

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– Le Cheval et l’homme: une rencontre improbable!

Cohabitation et relations homme-cheval # 1: Rappel sur les bases du comportement du cheval

Cohabitation et relations homme-cheval # 2: L’environnement imposé au cheval

Cohabitation et relations homme-cheval # 3: Relation Homme/Cheval

Ethologie: méfiez-vous des contrefaçons…

Votre cheval est-il heureux?

– Les chevaux et leurs cousins: les ânes

Le livre

Jean-Claude BARREY et Christine LAZIER, « Ethologie et écologie équines – Étude des relations des chevaux entre eux, avec leur milieu et avec l’homme », Editions Vigot, 2010, 208 p., 35 euros

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