Annick Labrot décembre - 12 - 2013
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ENTRE nous …..

Une expérience de plusieurs années, dans la médiation-âne auprès d’enfants polyhandicapés, l’envie de la partager, m’amène aujourd’hui à vous parler d’une expérience particulière d’accompagnement parent-enfant.

Être en contact avec des situations extrêmes de handicap chez l’enfant demande à s’intéresser aux stades les plus primaires du développement, et au registre des relations précoces mère-enfant. Constater qu’il y a des perturbations de la relation, dans certaines configurations est une chose, proposer d’intervenir, dans une visée thérapeutique, auprès de la dyade mère-enfant est une nécessité alors.

L’individu naît peu à peu comme conscience de son existence singulière au sein de l’univers. D’abord dans une relation fusionnelle avec la mère, il s’en distancie par étapes pour exister par lui- même, individu en relation avec d’autres individus. (Bertrand Dubreuil).

Ce principe de base de différenciation ne va pas de soi pour l’enfant polyhandicapé et nécessite d’être accompagné, soutenu.

De plus, être parent, naître parent dans cette singulière expérience de parentalité blessée, par la situation de handicap, demande une attention particulière.

Nous sommes soumis à 2 exigences dans l’accompagnement de l’enfant en situation de polyhandicap ; Une exigence technique de transdisciplinarité, (au regard de cette pathologie complexe), et une exigence relationnelle de partenariat avec les parents.

Il y a là une spécificité à laquelle j’ai été sensible, et à laquelle j’ai tenté de répondre dans le cadre de la médiation animale.

Ce cadre nous l’avons peu à peu construit avec mon collègue psychologue clinicien du SEESD de L’A.P.F, il permet aujourd’hui d’apporter une réponse à cette double problématique de l’enfant et de son (ses) parent(s).

Double problématique qui est de favoriser le développement de l’enfant et aussi de soutenir les parents dans leur devenir parent, dans l’éducation de cet enfant –là, avec des besoins spécifiques.

 

© Photo Ânikouna

 

La situation extrême de polyhandicap va venir figer les interactions et les attitudes parentales, le plus souvent de la mère, en première ligne, dans des registres de fusion, de protection excessive.

Sidérés, figés, agrippés l’un à l’autre, enfant et parent font système dans une indifférenciation psychique, pour survivre (?)

Tout changement devient potentiellement dangereux quand on sait à quel prix l’équilibre trouvé a était obtenu. Rien n’est simple, rien n’est facile, peu de choses vont de soi en matière de polyhandicap. Non pas que je veuille noircir le tableau à outrance, mais parce que dans la réalité de la vie quotidienne tout est bel et bien complexe : Le sommeil, la veille, la situation de nourrissage, la tenue de la tête, la station assise, la crise (d’épilepsie) que l’on redoute, que l’on attend, que l’on voudrait maîtriser.

Ce sont de ces situations plusieurs fois rencontrées dont je voudrais parler, de ces situations où les projets de soins émis par les équipes sont voués à l’échec, si l’on ne s’attache pas à prendre en charge l’une et l’autre des parties, si l’on ne soutient pas ce devenir parent de cet enfant différent, si l’on ne dresse pas l’oreille à cette difficulté implicitement énoncée de projeter un désir dans l’avenir ; celui de voir grandir son enfant. Celui d’un devenir sujet à part entière et non entièrement à part !

« Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être, vous les aiderez à devenir ce qu’ils peuvent être » Goethe

Dans cet espace de médiation animale, Les parents peuvent soutenir le développement de l’enfant en réajustant pour eux- mêmes une place que le handicap a fragilisée. Ils sont plus facilement mobilisables dans un travail de partenariat avec les professionnels.

L’asino-médiation : un contenu

La médiation- âne est appréhendée comme un espace de rencontre et de partage d’une activité, permettant à l’intervenant de mettre en œuvre son action qui vise à l’appropriation, par la personne, de son espace corporel, psychique et relationnel.

Auprès de l’enfant polyhandicapé cette médiation va permettre de rencontrer l’enfant à partir d’un registre qui lui est accessible : la sensorialité et l’émotion, qui seront suscitées par le contact avec l’animal.

Accompagnée et partagée par l’éducateur et/ ou le thérapeute cette expérience pose la base d’une relation. La qualité des échanges émotionnels et corporels y prend une place prépondérante. Les notions de « Holding », de Handling » (Winnicott), d’accordage tonique (Wallon) sont ici convoquées.

 

La médiation-âne, une réponse à une problématique spécifique.

Parce que cette médiation animale, est à la fois sensorielle, corporelle et relationnelle, il est légitime de penser que nous pouvons enclencher une métamorphose intime (touchant au processus de construction de soi) du moins offrir à l’enfant polyhandicapé, quelque chose qui réponde spécifiquement à sa problématique.

Cela suppose d’aménager le temps et l’espace de la rencontre et exige que l’on accompagne ces enfants, non pas pour faire des exercices avec eux, mais pour partager des expériences avec les ânes.

Par sa lenteur, sa délicatesse et sa capacité de portage, cet « équidé- partenaire » va nous permettre, une mobilisation corporelle dans les registres les plus archaïques, et d’aider l’enfant à se vivre différencié face à autrui.

 

© Photo Ânikouna

Louise : « pas sans maman ! »

Louise est âgée de 5ans quand elle débute ses séances à ânikounâ, il s’agit d’une prise en charge mère-enfant accompagnée par le psychologue du service de soin à domicile et moi-même. Le projet est motivé par le fait que Louise devrait intégrer la structure d’accueil de « la souris verte », à la rentrée prochaine. Cette proposition d’orientation, signe la nécessité d’une séparation qui parait aujourd’hui impossible.

Sa maman semble très inquiète à l’idée de cette séparation journalière, dans une posture dépressive à laquelle Louise est associée dans une indifférenciation d’états psychiques.

L’indifférenciation caractérise Louise ; elle se colle sans réserve à l’état émotionnel dépressif de sa maman, de même si l’ambiance est joyeuse et tonique elle le sera aussi. Cependant, l’environnement est vécu, le plus souvent comme un danger potentiel, apeurant voire terrifiant. Le moindre bruit la fait sursauter …

Les manifestations émotionnelles de Louise sont confuses, il est difficile de lire le plaisir ou le déplaisir, la joie, la peur, dans les rictus qu’elle émet. Sa mère est en grande difficulté pour y donner du sens.

Force est de constater le caractère difficilement décodable des messages émis par l’enfant, pris dans un mauvais contrôle tonique et sensori-moteur, doublé d’un parasitage émotionnel. Parallèlement la fonction maternelle alpha (décrite par Bion) perd de son opérationnalité dans ces situations. Cette fonction de tamisage de la mère est mise en échec.

Ce projet « âne-mère–enfant », aura en premier lieu une fonction évaluative des relations mère-enfant, et d’apporter à Louise une opportunité de se construire dans une entité propre.

Les premières séances, à l’intérieur, montrent une grande facilité d’accordage à l’animal de la part de Louise. Elle se laisse coucher sur le dos de l’âne et accorde d’emblée sa respiration.

Accordage ou fusion ? Nous repérons, assez vite, que Louise se présente comme une « enfant- éponge » ouverte et perméable à l’autre.

Mère et enfant sont collées tant physiquement que psychiquement. La position maternelle est assez légitime, l’enfant demande, dans sa grande vulnérabilité cet étayage constant.

Le plus petit écart n’est pas possible, aucun espace intersubjectif ne peut se mettre en jeu. Mère et enfant sont mêlées dans une indifférenciation d’espace psychique.

Tout le travail va consister à un passage progressif :

D’un Corps morcelé – fusion à un corps unifié – différenciation du sujet.

L’activité va permettre de mener ce travail thérapeutique sur différents points ;

– la rencontre,

– la sécurité,

– l’imperméabilité, (notion de moi-peau)

– la séparation.

Dans ce dispositif de travail thérapeutique, en binôme, le rôle de chacun est différencié : Je suis à une place d’intervenante, engagée auprès de l’enfant et de sa mère, dans une proposition de rencontre avec l’âne, par des mises en situations.

Le psychologue est à une place de thérapeute- observateur plus à distance de l’agir. Dans une réceptivité ouverte à ce qui se vit ( Ester Bick).

Poser un cadre c’est (se) construire, c’est mettre moins de confusion, se différencier ; les places sont distinctes et repérables.

Dans ce cadre il y a aussi les espaces : l’espace où l’on parle ; l’espace humain, la salle d’accueil / l’espace où l’on EST avec l’âne, l’espace plus animal.

Ces 2 espaces se jouxtent et à la fois sont séparés par une barrière.

Il y a le temps de la séance 45 minutes et la périodicité toutes les semaines, même heure, même jour.

L’âne nous prête son dos, et offre une matrice maternelle qui va permettre d’installer du jeu. Ces situations sont rapidement investies par l’enfant et sa maman. Elles sont toutes deux confiantes, en sécurité face un âne de taille modeste, calme, placide, doux et chaud.

L’âne va favoriser des situations primitives, dans une aire transitionnelle sécurisante, où l’enfant pourra faire l’expérience d’éprouvés corporels.

Cette expérience archaïque va se vivre au travers de contacts intimes, dans des situations de portage sur l’âne, en statique et en déplacement. Ce « nourrissage proprioceptif » va faciliter l’ancrage corporel et amènera peu à peu Louise à un ressenti d’une identité fiable et différenciée de l’autre.

A partir de l’être comme corps travaillé par les mouvements et affects corporels, se construit l’être comme conscience, qui ressent et perçoit.

Cet espace thérapeutique va permettre à Louise et sa maman de faire des expériences corporelles, émotionnelles et relationnelles qui vont venir étayer le lien de l’une à l’autre.

 

© Photo Ânikouna

 

Au fil des séances Louise investie pleinement l’âne, comme un bon objet, un objet maternel partiel. L’objet maternel partiel aimé de l’enfant ne met pas la mère en rivalité. Va pouvoir se déployer un espace transitionnel, un espace de jeu :

On joue à s’éloigner -à se rapprocher/ dedans -dehors / moi –l’autre/ éprouver des sensations- partager des émotions…

Cette mutation est facilitée par la présence de l’âne, substitut maternel porteur et par l’étayage des adultes qui accompagnent, qui reconnaissent l’expérience, la commente, la partage.

Le dialogue est plus facile, les places se réajustent plus aisément quand on fait intervenir l’animal, les parents sont ici des collaborateurs, dans un accompagnement de leur enfant.

L’effet de restauration narcissique d’une telle activité et à souligner. Les parents ne sont pas seulement parents d’un enfant qui ne marche pas, qui ne parle pas; Ils sont aussi parents d’un enfant qui FAIT de l’âne ! Et qui montre au contact de l’animal des capacités relationnelles, attentionnelles et motrices.

L’âne est alors le passeur d’un corps fusion à un corps unifié, d’une sensation à une émotion, d’un infant à l’enfant ….

Après plus d’un an d’accompagnement mère-enfant, Louise a pu intégrer la structure d’accueil de la souris verte, et poursuivre en petit groupe ses séances à ânikounâ. Le travail se poursuit…

Annick Labrot

Sur la médiation asine et sur le blog:

Un week-end de Médiation asine# 3 – 2 et fin

Un week-end de Médiation asine# 3 – 1

Un week-end de médiation asine # 1

Un week-end de médiation asine # 2

L’âne dans un travail de lien social: 15ième rencontre Médi’Âne du 19 au 24 novembre 2012

Les brèves de l’été 2012 # 1: La fête de l’âne chez Ânikounâ, un 14 juillet « ân-imé » !

De l’animal à l’âme, du lien au soin… un week-end de rentrer à ne pas manquer!

A petits pas vers un et un font deux!

Orelhas Sem Fronteiras » ou la médiation asine au Portugal!

Les ânes de Janicou

Construire des liens et structurer une rencontre: au travail les ânes!

L’âne et l’ado!

A chaque jour suffit son bonheur!

Médiation avec l’âne… un chemin pour aller vers soi

L’un, l’âne et l’autre

3 Responses to “Histoires courtes en Thérapies avec l’Âne # 1: Louise”

    avatar
    laetitia
    décembre 15th, 2013 at 21:58

    Merci beaucoup Annick pour ce partage riche en tout : en références théoriques, en réflexion sans aucun doute mais aussi en émotions que l’on peut facilement imaginer… Merci de partager ton expérience 🙂

    avatar
    diane
    décembre 17th, 2013 at 21:22

    oui, c’est trés intéressant et tellement vrai, l’idée que l’équidé peut être le complice d’un travail sur les relations premières de l’enfant à son environnement et permettre aux parents d’aborder leur enfant avec un autre regard, dans une autre dimension.
    L’équidé est le seul animal domestique qui accepte de porter un humain , en situation de médiation thérapeutique il peut devenir aussi porteur d’un nouvelle dynamique pour les différents protagonistes.
    Merci de nous avoir transmis cette expérience et le goût de la
    réflexion sur les actions avec la médiation animale

    avatar
    Sandie Bélair
    décembre 29th, 2013 at 11:54

    De la clinique à l’état pur! Merci Annick!

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La Médiation Animale ? Telle est la question pour un grand nombre de personnes … Le but de cette pratique, en quelques mots, est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Elle est donc associée à une intentionnalité ... Lire la suite

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